Le scénario central des investisseurs demeure un ralentissement de la croissance aux Etats-Unis sans récession, tandis que les derniers indicateurs économiques plutôt bons outre-Atlantique, soutiennent cette hypothèse.
A contrario, l’activité en Europe et particulièrement en Allemagne et en France demeure décevante, tandis qu’un accroissement de la pression fiscale dans notre pays devrait par ailleurs peser en 2025. Globalement, la croissance mondiale se maintient à un rythme de l’ordre de 3,2%.
Evolution de la conjoncture mondiale
Les dernières projections économiques du FMI parues au cours du mois mettent en avant la forte baisse de l’inflation par rapport à son pic du troisième trimestre 2022 tandis que la croissance de l’activité devrait se maintenir en 2025 au niveau actuel. Les politiques monétaires des grandes banques centrales, toujours restrictives, présentent un potentiel de détente significatif alors que les taux réels ont augmenté du fait de la baisse de l’inflation.
A contrario, les politiques fiscales des pays développés demeurent généralement expansionnistes avec une dérive significative aux Etats-Unis, au Brésil, en Chine, en Italie, en Grande-Bretagne et en France. Selon le FMI, le risque de récession aux Etats-Unis a progressé depuis avril dernier, passant de 17% à 25% (ce chiffre mesure la probabilité d’une légère récession en 2025). En outre, la production industrielle américaine est en baisse depuis mi-2023. Cependant, la consommation des ménages demeure satisfaisante, alimentée ces derniers mois par une hausse réelle des salaires.
La trajectoire de la dette des Etats-Unis est toujours inquiétante. Mais lorsque l’on pense à un niveau d’endettement élevé, il est difficile de ne pas évoquer le Japon où viennent de se tenir des élections législatives. Ce pays enregistre un ratio de dette publique brute sur PIB de 226% en 2024 et défie les Cassandre qui, depuis des années, prévoient une crise de la dette qui pourtant ne se matérialise pas.
Depuis plus de 20 ans, le Japon a une dette publique de plus de 100% de son PIB. Comment est-ce possible ? Et devrait-on en conclure que, finalement, nos inquiétudes sur l’évolution de la dette américaine sont injustifiées ?
Rappelons tout d’abord que la faible croissance japonaise, ces dernières décennies, est avant tout le résultat d’une population en
déclin. La croissance par habitant est, quant à elle, tout à fait satisfaisante, même si le PIB par habitant demeure sensiblement
inférieur à celui des Etats-Unis ; cet écart avait fondu jusqu’en 1991 puis s’est de nouveau élargi, la productivité étant plus
élevée de l’autre côté du Pacifique. Par ailleurs, le Japon bénéficie d’une longue tradition de stabilité des prix, lui permettant de
s’endetter à faible coût. En d’autres termes, la valeur du Yen a été bien mieux préservée que celle du dollar face à l’inflation, en
particulier depuis quarante ans. Cet élément est contre-intuitif si l’on considère la faiblesse de la devise japonaise face au dollar
sur le marché des changes. Facteur déterminant ces dernières années, la Banque du Japon a littéralement écrasé le niveau du
prix de l’argent, contrôlant l’ensemble de la courbe des taux. Le taux d’emprunt à 10 ans est resté à 0% de 2016 à 2021, avec
une maturité moyenne de la dette japonaise de 9 ans contre 6 pour les Etats-Unis. Le montant de la dette publique est donc
très élevé mais ne coûte pratiquement rien tandis que la hausse des taux se fera d’abord sentir aux Etats-Unis. Cette politique
a été possible parce que c’est essentiellement l’épargne domestique qui finance l’endettement de l’état sans dépendance des investisseurs étrangers.
La situation très particulière du Japon
Le niveau de la dette publique japonaise est, lui aussi, à examiner de plus près. Cette dette est détenue en partie par des entités du secteur public (dont principalement la banque du Japon). Une vision « consolidée » de la dette publique japonaise, des entités publiques étant endettées auprès d’autres entités publiques, la ramène de 226% à 114%. La sphère publique reçoit ainsi une grande partie des intérêts payés par l’état. Enfin, le secteur public japonais détient de nombreux actifs qui rapportent beaucoup plus que le coût de la dette émise ; il s’agit ici de dette étrangère et d’actions japonaises et internationales. Ainsi, tout bien considéré, le niveau des dettes publiques du Japon et des
Etats-Unis sont donc finalement comparables. A ceci près que le service de la dette américain coûte beaucoup plus cher, que les Etats-Unis sont dépendants des investisseurs étrangers et qu’ils ne disposent pas d’avoirs dans les mêmes proportions. Il est donc notable que les fondamentaux des Etats-Unis ne leur permettraient pas d’adopter une politique d’endettement à la japonaise et que le problème de la trajectoire de leur dette se pose avec acuité.
Le problème de la dette japonaise pour un investisseur n’est donc pas aujourd’hui sa soutenabilité mais son absence de rendement même si elle est émise dans une monnaie de réserve très sous-évaluée dans un ordre de grandeur que nous estimons à 30%. A long terme, l’ensemble du système pourrait s’avérer instable si les anticipations d’inflation par les ménages devenaient structurellement plus élevées, les détournant des emprunts d’états. Actuellement, le principal sujet d’inquiétude du Japon porte sur sa démographie déclinante alors que l’arrivée de travailleurs étrangers, en particulier du Vietnam et de la Chine, ne compense qu’un quart de cette baisse. Des mesures de soutien aux familles ont été mises en place sans que l’on puisse encore en mesurer les effets.
Le mécontentement gagne ces dernières années une part croissante de la population japonaise. La relative stabilité des prix depuis la fin des années 80 à laquelle les japonais sont attachés a été temporairement mise à mal par une inflation qui a atteint un pic de 4% au cours de l’été 2023 pour revenir à un niveau de 1.8% ce mois d’octobre 2024 (inflation annualisée hors énergie et hors produits frais). Ce niveau élevé, à l’aune de l’expérience du Japon, pèse sur le pouvoir d’achat des ménages alors que les salaires progressent moins vite que les prix. Les grands débats sur la gestion du nucléaire, le changement de la constitution pour réarmer le pays dans un contexte de relations plus tendues avec la Chine contribuent par ailleurs à la polarisation des opinions politiques.
Dans ce contexte, le nouveau premier ministre Shigeru Ishiba du Parti libéral-démocrate (PLD), à peine rentré en fonction, a choisi de dissoudre la Chambre des représentants, soit la chambre basse du parlement japonais, et de provoquer des élections anticipées, avec l’espoir de renverser l’opinion des électeurs en tirant un trait sur le passé. Le parti au pouvoir a en effet dû faire face à des scandales financiers (dont l’affaire des fonds de réserve ayant éclaté en 2023 qui couvre le détournement de fonds publics par des membres du parti au pouvoir et qui a finalement provoqué le départ du précédent premier ministre Fumio Kishida ainsi que l’affaire des fonds électoraux, le LPD ayant financé des candidats impliqués dans l’affaire des fonds de réserve alors qu’ils n’avaient pas reçu l’agrément de leur parti). Ces différents scandales, dans un contexte politique difficile, ont provoqué un résultat inverse à celui qui était espéré par Shigeru Ishiba, avec une perte de la majorité pour le LPD et une progression notable du Parti Démocratique Constitutionnel (Nippon Ishin no Kai). Ce résultat a surpris l’ensemble des observateurs de la vie politique japonaise alors que le LPD a gouverné le Japon avec seulement deux interruptions depuis 1955 ; il ouvre probablement la voie à une période plus incertaine à la fois sur le plan de la politique étrangère du Japon et sur celui
de ses grandes orientations internes.
Marchés
Le marché américain se comporte comme s’il anticipait une victoire de Trump aux prochaines élections avec une hausse du dollar, une hausse des taux souverains, le 10 ans ayant progressé de 3.6% mi-septembre dernier à 4.3% aujourd’hui, la légère amélioration des indicateurs économiques ayant il est vrai également contribué à ce mouvement. Dans le même temps, l’ensemble des devises (et en particulier le Yen suite aux élections législatives qui enregistre une baisse de 6% en un mois), s’est affaibli face au dollar. La volatilité est de nouveau élevée sur l’ensemble des marchés financiers. La faiblesse de l’activité industrielle pèse par ailleurs sur les matières premières, tandis que les volumes de production de l’or noir devraient dépasser la demande en 2025, créant un possible excès d’offre.
La hausse sensible du taux à 10 ans américain accompagne la progression des chances de victoire de Trump aux élections présidentielles de novembre prochain, synonyme pour beaucoup d’une augmentation des déficits publics (via les réductions d’impôts) et de plus d’inflation (via une augmentation des tarifs douaniers). Le taux réel atteint, soit 1.9% compte-tenu d’une inflation à 2.4% parait raisonnable.
Les investisseurs sont relativement neutres à ce niveau sur le crédit en Europe et sur les obligations souveraines à l’exception de celles des marchés émergents qui présentent des taux réels et des perspectives de gains en capital plus intéressants malgré leur volatilité. Les taux avec bonus offerts par certains contrats d’assurance vie deviennent également attrayants.
Dans le même temps, la prime relativement faible des obligations spéculatives américaines (+338 points) et la hausse du S&P 500 illustrent une confiance renouvelée des investisseurs pour le cycle de croissance des Etats-Unis, peut-être en référence à la forte hausse (+35%) des actions américaines au cours des 15 mois qui avaient suivi l’élection de Trump en 2016. Mais en octobre 2016, c’est-à-dire juste avant son élection, le PER (ratio cours sur bénéfices attendus à 12 mois) du S&P 500 était de 16.7 contre 21.8 aujourd’hui. Huit ans plus tard, le marché américain est 30% plus cher, soutenu par l’engouement pour le thème de l’intelligence artificielle. Ces éléments militent pour une certaine prudence. En Europe, les actions sont à leur prix mais pâtissent pour l’instant du manque de vigueur de l’économie et des résultats des entreprises. L’avancée des plans de relance en Chine et l’absence de taxes américaines au lendemain des élections présidentielles sur les exportations permettraient d’être plus optimiste. La récente baisse du Yen, très sous-évalué, ne devrait pas se poursuivre si la Banque du Japon augmentait de nouveau ses taux directeurs prochainement.
Sources principales : Banque de France, Federal Reserve, CGPCONSEILS, FMI, OCDE, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, Reuter, Facset, Financial Times, Agence Internationale de l’Energie, OMC, INSEE, Euler Hermès, Coface, MIT, ISTAT.