Le règne de l’incertitude
L’enthousiasme sans bornes des actifs Nord-Américains qui avait succédé à l’élection de Donald Trump en novembre dernier fait place depuis quelques semaines à un certain pessimisme des investisseurs. L’économie américaine ralentit.
Les changements d’orientation de la politique économique déployés à grande vitesse par le nouveau président suscitent l’attentisme des consommateurs et des entreprises. Le niveau d’incertitude des acteurs économiques est anormalement élevé.
A l’inverse, l’Europe semble se réveiller, avec une montée en puissance de ses capacités de défense et un grand plan d’investissement voté en Allemagne.
Vers un ralentissement de la croissance
Au cours du second semestre 2024, l’économie mondiale a crû au rythme annualisé satisfaisant de 3,2%. Toutefois, ces derniers mois, un recul de la confiance des consommateurs et une hausse des anticipations d’inflation aux États-Unis se font sentir. L’OCDE prévoit maintenant un ralentissement de la croissance américaine qui passerait de 2,8% en 2024 à 1,6% en 2025, et un rebond de l’activité allemande qui progresserait de +0,8% en 2025 et de +1,1% en 2026.
Les indicateurs avancés pointent vers un ralentissement aux États-Unis mais aussi au Brésil, au Mexique, en Inde et au Japon, dans un contexte où l’inflation devrait continuer à baisser tout en demeurant globalement au-dessus des objectifs des grandes banques centrales.
Le monde suspendu à la date du 2 avril 2025
Aux États-Unis, la nouvelle administration américaine se concentre sur la nouvelle politique tarifaire, le contrôle de l’émigration et l’action du Department of Government Efficiency (DOGE) qui vise à réduire drastiquement les dépenses publiques. Pour les républicains, l’objectif est de réindustrialiser le pays (qui a beaucoup perdu en compétitivité sur le plan international ces quarante dernières années) tout en finançant de nouvelles baisses d’impôts.
Donald Trump est convaincu que le déficit commercial des États-Unis avec une écrasante majorité des pays est le résultat de conditions commerciales inéquitables. En réponse, il prévoit d’annoncer le mercredi 2 avril 2025 un programme de droits de douane « réciproques ».
En choisissant d’ajouter la TVA aux droits de douane supportés par les produits américains alors même qu’elle s’applique aux produits fabriqués sur place, les autorités américaines font preuve d’une certaine mauvaise foi. Les exportations provenant de l’Union Européenne seraient ainsi taxées à hauteur de 25%, selon plusieurs déclarations du président américain.
La réalité des protections douanières des pays émergents est plus tangible, mais il s’agit d’économies jeunes où l’industrie a besoin de se défendre contre la concurrence étrangère pour survivre et assurer sa croissance, situation où étaient les États-Unis au XIXe siècle.
Impact de la hausse des droits de douane sur l’économie américaine
Avec un déluge d’annonces parfois contradictoires, souvent imprécises, la méthode Trump est singulière et engendre une inquiétude de plus en plus marquée chez les consommateurs et les dirigeants des grandes entreprises.
•Les premiers anticipent une remontée de l’inflation du fait de nouveaux droits de douane, ce qui est suffisant pour lier les mains de la Fed et l’inciter à différer toute nouvelle baisse de taux.
•Les seconds craignent de se retrouver face à un cauchemar logistique, de nombreux biens intermédiaires pouvant traverser plusieurs fois la frontière avant d’être finis tandis qu’il leur faudra du temps pour adapter l’appareil industriel américain à cette nouvelle donne.
L’OCDE a tenté de chiffrer la perte de croissance sur les trois prochaines années induite par une hausse de 10% des droits de douane entre les États-Unis et tous ses partenaires de manière réciproque.
Il est remarquable de noter qu’hormis le Mexique dont l’appareil industriel est massivement tourné vers son voisin du nord, les États-Unis seraient le pays le plus touché et perdraient 0,72% de PIB sur 3 ans par rapport au scénario de référence sans modification des droits de douane.
Ces prévisions sont fondées sur l’hypothèse d’un taux unique, ce qui ne sera probablement pas le cas. La Chine est une rivale et elle devrait en payer le prix. Par ailleurs, les prévisions d’inflation aux États-Unis risquent d’être relevées.
DOGE : réduire le budget fédéral américain de 1000 milliards de dollars
Le Department of Government Efficiency (DOGE) est une initiative gouvernementale américaine créée en janvier 2025 par Donald Trump, dont la mission principale est de réduire les dépenses fédérales et d’améliorer l’efficacité des agences gouvernementales. Elon Musk, entrepreneur et PDG de Tesla et de SpaceX, a été nommé conseiller spécial pour le diriger.
DOGE vise à diminuer le budget fédéral d’environ 1000 milliards de dollars en identifiant et en éliminant les gaspillages, les fraudes et les abus au sein des agences fédérales. L’initiative a conduit à la fermeture de certaines agences, comme l’USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), et à des réductions significatives de personnel dans diverses branches du gouvernement. DOGE s’efforce de moderniser les systèmes informatiques et les processus bureaucratiques pour améliorer l’efficacité et réduire les coûts opérationnels.
Elon Musk a fait part de son intention de se retirer de ses fonctions au sein de DOGE à la fin du mois de mai, une fois atteint l’objectif de réduction du déficit de 1 000 milliards de dollars. Pour l’instant, on comprend mal comment Musk arrivera à faire autant d’économies. Pour rappel, la croissance de la dette publique américaine progresse beaucoup plus vite que son économie, ce qui la place sur une trajectoire pour le moins inquiétante.Les économies promises par Musk sont supérieures au déficit primaire et représentent environ 14% des dépenses fédérales. Il faut préciser que la pression fiscale est relativement faible aux États-Unis, les impôts représentant environ 26% du PIB à comparer à une médiane de 35% environ pour les pays de l’OCDE et à 45% pour son champion, la France.
Allemagne
En Allemagne, l’accord entre le CDU/CSU, le SPD et les Verts portant sur la réforme de la règle constitutionnelle du frein à l’endettement, a été approuvé par le Bundestag. L’Allemagne va pouvoir ainsi augmenter sensiblement son budget de défense. Par ailleurs, un fonds de 400 milliards d’euros sera créé pour investir dans les infrastructures tandis que 100 milliards d’euros seront consacrés à la transition énergétique, ce dernier point ayant permis d’obtenir le soutien des Verts. De plus, les länder pourront s’endetter davantage.
Le réveil de l’Allemagne, pour qui la croissance devenait un enjeu de plus en plus prégnant, lui permettrait de s’extraire de son atonie économique et de renouer avec la croissance. Cependant, il s’agit d’un plan d’investissement étalé sur 12 ans dont les effets sur la conjoncture seront également liés à la politique commerciale de ses partenaires de l’Allemagne et à l’évolution des taux d’intérêt et des changes. Sans prendre en compte les augmentations du budget de la défense, ce plan représente environ 12% du PIB allemand de 2023. Il semble que les prévisions de croissance de l’OCDE pour l’Allemagne devraient être relevées.
MARCHES au 29 mars 2025
Au cours du mois de mars, le recul des actions américaines s’est accentué sous l’effet des craintes d’un ralentissement prononcé de l’activité.
Les actions européennes et les actions émergentes résistent mieux, tandis que le dollar américain se replie sensiblement contre l’euro.
À noter, la progression sur le mois du MSCI Emu Small cap qui vient illustrer le pari des investisseurs sur une reprise économique du vieux continent.
« La bourse a prédit 9 des 5 dernières récessions. » – Paul Samuelson, 1966
C’est avec une pointe d’humour que le célèbre économiste pointait du doigt l’inaptitude du marché à prédire les récessions et qu’il devrait être utilisé avec circonspection comme indicateur avancé de la conjoncture.
Le ralentissement de l’activité aux États-Unis au premier trimestre 2025 a provoqué un repli important des principaux indices outre-Atlantique, car il contraste avec « l’exceptionnalisme américain » sur toutes les lèvres en décembre dernier, le positionnement massif des investisseurs sur les actions américaines et la cherté associée de ces actifs qui les rendaient vulnérables.
Actuellement, la probabilité d’une entrée en récession des États-Unis a certes progressé, mais sans excès. En parallèle, le S&P 500 est toujours relativement cher à 20,2 fois les bénéfices attendus dans 12 mois.
En cas de récession impliquant à la fois une baisse des bénéfices prévus et une baisse des multiples de valorisation (PER), la sanction serait beaucoup plus sévère. Ce mécanisme joue à chaque cycle et explique les reculs de 20% à 50% des actions, en cas de contraction de l’économie.
La politique de Trump est déployée à marche forcée, ce qui est bien compréhensible compte tenu des prochaines échéances électorales du 3 novembre 2026 : ces élections incluront le renouvellement de tous les sièges de la Chambre des Représentants et une partie des sièges du Sénat, ainsi que divers postes au sein des gouvernements des États et des instances locales.
S’il ne veut pas être balayé par le mécontentement des électeurs, il faut que l’inflation soit sous contrôle et que le marché du travail se porte bien. Il a donc intérêt à appliquer rapidement la partie de son programme économique la plus perturbante pour ensuite passer à la déréglementation et à la baisse de la fiscalité.
Il pourra aussi avoir le temps d’amender sa politique si la correction du marché se poursuit et si sa cote de popularité devient trop faible. Début mars, les Américains approuvant l’action de leur président s’élevait à 43% (Gallup), en léger recul depuis son élection mais avec un fort soutien des républicains ce qui l’encouragera à poursuivre son action.
Deux stratégies sont possibles dans le contexte actuel, alors que les indices de confiance des consommateurs américains sont en repli sans pouvoir déterminer à ce stade s’il s’agit d’une tendance durable.
La première, relativement simple, consiste à se retirer partiellement du marché en réduisant dans son portefeuille la part des actions. C’est encore tout à fait possible si on pour les pessimistes sur la conjoncture américaine, même si les plus habiles auront initié ce mouvement un peu plus tôt.
La seconde, consiste à rester investi mais en privilégiant les actifs qui paraissent les moins chers et les plus dans une perspective de moyen terme et en évitant les « victimes » évidentes de la guerre commerciale initiée par Trump, c’est-à-dire les pays ayant un fort excédent commercial avec les États-Unis avec une exception, l’Allemagne, compte tenu de son plan massif d’investissement.
Sources principales : Banque de France, Federal Reserve, FMI, OCDE, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, Reuters, Factset, Financial Times, Agence Internationale de l’Énergie, CGPConseils, OMC, INSEE, Euler Hermes, Coface, MIT, ISTAT.