Pour l’instant tout va bien
Les indicateurs avancés continuent de s’orienter vers une reprise en Europe, portée par un rebond de l’activité dans les services et par une amélioration du pouvoir d’achat. Aux Etats-Unis, la Fed a de nouveau revu à la hausse ses prévisions de croissance pour 2024 qui sont passées de 1.4% à 2.1%, ce qui correspond à une année plutôt ordinaire. La croissance économique est donc, une fois de plus, meilleure qu’attendue. Les taux directeurs, toujours en territoire restrictif, sont ainsi appelés à baisser à un rythme plus lent que les investisseurs ne l’anticipaient, il y a trois mois. La tendance n’est cependant pas remise en cause, ce qui a permis au marché de demeurer confiant, un environnement associant baisse des taux et amélioration de l’activité étant généralement porteur pour les actifs risqués.
Une conjoncture plutôt favorable
La Banque Nationale Suisse a initié en mars un premier mouvement de baisse des taux de 25 points de base, son taux directeur s’établissant maintenant à 1.50%, alors que l’inflation est maintenant inférieure à 2%. Ce coup d’envoi devrait être suivi tout au long de l’année par les autres grandes banques centrales. Ces dernières semaines, la Fed, la BCE, la Banque d’Angleterre, la Banque de Suède et la Banque de Norvège ont toutes signalées qu’elles baisseraient leurs taux dans le courant de l’année 2024.
François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a ainsi déclaré que le risque d’inflation s’était atténué tandis que le risque de maintenir des taux élevés pour la croissance augmentait et qu’il était temps d’agir.
De son côté, Powell a indiqué qu’il considérait que les derniers chiffres d’inflation aux Etats-Unis, plus élevés qu’attendus, ne remettaient pas en cause une tendance baissière constatée depuis plus d’un an. Cette interprétation, relativement optimiste si l’on considère l’évolution des prix des services, repose sur l’anticipation d’une baisse rapide des augmentations de salaires tandis que le marché de l’emploi serait moins tendu. La courbe des taux aujourd’hui inversée devrait ainsi se « repentifier », les taux courts revenant à terme à un niveau inférieur à celui des taux longs, ce qui constitue une hiérarchie plus conforme à la logique économique. La Banque du Japon devrait quant à elle se tenir à l’écart de ce mouvement alors que le yen continue de subir de fortes pressions baissières et que la politique monétaire à taux zéro du pays ne semble plus adaptée à un taux d’inflation prévu à 2.3% pour 2024.
La promesse d’une nouvelle révolution industrielle ?
Bien entendu, une amélioration de notre productivité favoriserait la désinflation tout en augmentant notre capacité de désendettement. L’enthousiasme suscité par le développement de l’intelligence artificielle nourrit ainsi à point nommé l’espoir de voir cette technologie révolutionnaire nous porter vers un nouveau cycle de croissance. Elle porte la promesse d’une accélération durable de l’efficacité du facteur travail dans la production. L’engouement des investisseurs pour l’ensemble des entreprises de services de cloud, de logiciels associés à l’intelligence artificielle ainsi que pour les entreprises de semi-conducteurs est particulièrement remarquable à la bourse (Citons Alphabet, Amazon, Apple, IBM, Nvidia, TSMC, ASML, Microsoft, Intel, AMD, Qualcomm pour les plus connues).
Nous ne sommes toutefois qu’au début d’une révolution potentielle qui nous réserve certainement beaucoup de surprises. Pour l’instant, aucun chiffre macro-économique ne vient suggérer une nouvelle tendance : l’investissement est plutôt faible tandis que l’évolution des dépenses dans la technologie, comprenant à la fois les logiciels, les services de communication et l’équipement en matériel informatique, n’accélère pas. Dans les années 90 aux Etats-Unis, le boom de l’internet avait provoqué dans ce secteur une croissance de l’investissement de 15% à 20% pendant plusieurs années, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, ces dépenses progressant de moins de 5% (source : Thomson Reuters, Oddo Securities). Le pourcentage de ces dépenses dans le PIB, qu’il s’agisse d’investissement ou de consommation, est d’ailleurs stable depuis 2021. Aujourd’hui de l’ordre de 5.25% du PIB, il avait fortement progressé de 1992 à 2000, passant de 2.9% à 4.5% du PIB. La diffusion de cette technologie à l’ensemble de l’économie n’est donc pas encore visible, peut-être parce qu’il est trop tôt.
Historiquement, lorsqu’une technologie révolutionnaire apparait, telle que le chemin de fer, l’électricité, l’électronique ou internet, sa diffusion dans l’économie épouse trois phases. Dans un premier temps, la prise de conscience de son caractère innovant accompagnée de premiers résultats tangibles suscite une vague de projections de plus en plus optimistes et une envolée des niveaux de valorisation des sociétés concernées. Dans un second temps, le rappel à la réalité est généralement douloureux. Les gagnants ne sont pas toujours ceux qui avaient été identifiés, la concurrence se développe, les marges sont rognées par de lourds investissements, la règlementation s’affirme et les bénéfices déçoivent. Puis vient la phase de l’adoption progressive mais durable de cette nouvelle technologie et de sa diffusion généralisée, sous des formes diverses. On remarquera que les différentes révolutions industrielles ont à priori connu une vitesse de diffusion qui s’est progressivement accélérée au fil des décennies. Nous avons plus vite adopté internet et l’utilisation généralisée des logiciels que ne s’étaient diffusés l’industrie textile ou le moteur à combustion. Le MIT a publié une étude intéressante à ce sujet (« Fast and Slow technological transitions » – Février 2023), soulignant que la vitesse de diffusion pouvait varier considérablement en fonction de la disponibilité des qualifications humaines nécessaires à son utilisation. En d’autres termes, une nouvelle technologie peut demeurer sous-exploitée sur une longue période faute d’une main-d’œuvre qualifiée.
Le succès médiatique de l’intelligence artificielle provient de la rapidité l’adoption rapide de ChatGPT dans le monde et de sa simplicité d’utilisation. Ainsi, le nombre d’utilisateurs de Chatgpt aurait atteint 1 millions en 5 jours suite à son lancement en novembre 2022. Il aura respectivement fallu à Instagram et Netflix 2.5 et 3.5 années pour avoir le même nombre d’utilisateurs. Si cette comparaison a ses limites, on ne peut qu’être impressionné à ce stade. Par contre, l’application au stade industriel n’est pas encore acquise, le taux d’erreur étant trop important. Les optimistes pensent que cela sera rapidement résolu. D’autres craignent qu’il ne soit inhérent à la technologie développée et qu’il faudra encore être très innovant pour changer de paradigme.
A ce stade, le grand gagnant est le géant des semi- conducteurs Nvidia, dont les cartes graphiques sont propices aux calculs nécessaires aux modèles d’intelligence artificielle. La domination de Nvidia repose sur la qualité de ses cartes GPU et sur sa plateforme CUDA qui est une bibliothèque utilisée par les codeurs pour exploiter ses processeurs graphiques. Les marges monopolistiques de Nvidia (sa marge d’exploitation pour 2025 s’élèverait à 65% selon le consensus des analystes financiers) laissent songeur et attisent la concurrence. Google, Inter, AMD, Apple investissent pour créer leur propre GPU capable d’entraîner des modèles en I.A.. Groq propose de son côté un processeur destiné à l’inférence, plus rapide et beaucoup moins cher que la GPU de Nvidia (soit à l’utilisation de modèles déjà entraînés et uniquement via le langage LPU). Intel s’est allié avec d’autres géants du secteur pour développer OneAPI, une alternative à CUDA, fonctionnant avec une large variété de processeurs.
L’évolution des différents modèles en I.A. et leur diffusion promet d’être passionnante, tandis que ne manqueront pas de se poser de nombreux problèmes liés aux biais algorithmiques, à la confidentialité et à la règlementation. De nouveaux acteurs complètement inconnus émergeront tels que la société française Mistral qui propose des modèles très performants tout à fait comparables à ChatGTP. A long terme, personne ne sait dans quelle mesure l’intelligence artificielle va effectivement augmenter notre potentiel de croissance, ni même si, in fine, les promoteurs actuels de cette technologie en seront à terme les principaux bénéficiaires…
Biden met en avant des mesures sociales
Comme nous l’avions évoqué le mois dernier, 2024 est une grande année politique. Aux Etats-Unis, Biden a proposé de nouvelles mesures pour soutenir le pouvoir d’achat des classes moyennes qui seraient financées par une augmentation des impôts sur les sociétés et sur les plus riches. Ainsi, une aide serait prévue pour les détenteurs de prêts hypothécaires, afin de compenser la hausse des taux et des subventions seraient accordées pour accompagner l’éducation des enfants. Il s’agirait également de revoir les prix jugés trop élevés de certains médicaments (on pense à ce sujet à l’Ozempic de Novo Nordisk vendu à 936 dollars aux Etats-Unis, pour un mois de traitement contre l’obésité et dont le coût de production serait inférieur à 5 dollars…L’Ozempic est vendu à un prix de 83 dollars en France). L’ensemble des mesures proposées par les deux candidats auront bien sûr un effet sur l’anticipation de la trajectoire de la dette publique américaine même si pour l’instant, prééminence du dollar oblige, le marché obligataire américain ne bouge pas.
MARCHES
Les grands indices boursiers ont poursuivi leur mouvement haussier, accompagnés par une baisse assez sensible du VIX (indice américain de la volatilité implicite du S&P500), confiance oblige.
Sur le front des devises, le Yen a de nouveau baissé, atteignant un plus bas depuis 1990 alors que la Banque du Japon semble toujours assez timide quant à une éventuelle remontée de ses taux. Le Yen est actuellement à un niveau pouvant provoquer une intervention directe des autorités monétaires japonaises.
La forte progression des marchés,en particulier du marché américain et plus généralement des valeurs de croissance, aboutit à une dispersion très élevée des niveaux de valorisation entre les différents marchés, secteurs et valeurs. La dynamique des bénéfices est excellente sur les segments les plus prisés, mais la tendance des investisseurs à extrapoler cette progression inquiète un peu. Pour prendre un exemple concret, ce n’est pas le PER (ratio cours sur bénéfices) de Nvidia qui inquiète les investisseurs mais sa capacité à maintenir des marges monopolistiques. La société est actuellement valorisée sur le Nasdaq à 20.5 fois son chiffre d’affaires prévu pour 2025. L’investisseur devra ainsi décider s’il préfère ne pas trop s’éloigner des grands indices et par conséquent continuer à acheter ce qui est cher mais porteur à court terme ou s’il souhaite prendre le risque relatif de s’en écarter sensiblement.
Sources principales : Agence Internationale de l’Energie, Banque de France, BCE, BEA, BIS, Bloomberg, BOJ, BOC, Coface, Euler Hermès, Facset, Federal Reserve, Financial Times, FMI, INSEE, ISTAT, MIT, OCDE, OMC, Reuter.