Le mois de mars a été particulièrement agité, secoué par l’onde de choc d’une crise bancaire qui a sévi sur les deux rives de l’Atlantique, causant l’effondrement de la SVB (Silicon Valley Bank), de Signature Bank et du Crédit Suisse.
Les périodes de remontée rapide des taux amènent généralement dans leur sillage mauvaises surprises et accidents financiers et il est difficile de vraiment savoir à l’avance d’où ils viendront. Etonnamment, la dette souveraine américaine, pourtant l’actif le plus sûr mondialement, a joué un rôle important dans cette crise. La forte remontée des taux a en effet entraîné une baisse de la valeur des obligations souveraines dans lesquelles les banques investissent une partie des dépôts qui leurs sont confiés. Ainsi, il ne s’agit pas d’un problème de solvabilité comme durant la grande crise financière de 2008, mais d’un problème de gestion des moins-values sur des titres achetés trop chers — alors que les taux longs étaient proches de 0% — doublé d’un mauvais contrôle des risques. S’en est suivi une perte de confiance qui a précipité les retraits de dépôts.
Faillite de la SVG : des causes cumulatives
La faillite de la SVB, banque commerciale de taille moyenne, s’explique aussi par une combinaison de facteurs spécifiques. 52% des dépôts proviennent de start-ups. Nombre d’entre elles, en difficulté depuis l’année dernière, se sont mises à puiser régulièrement dans leurs dépôts au cours des derniers mois. Dans le même temps et dans un effort pour les retenir, la SVB avait augmenté le taux de rémunération de ses dépôts car la rémunération offerte sur le marché monétaire devenait beaucoup plus attractive. Mais la SVB avait trop investi dans des obligations à longue maturité dont le rendement était faible et dont les cours avaient sensiblement baissé. Ce sont les pertes enregistrées sur la vente d’une partie de ces obligations qui l’ont mise en difficulté. Dans un effet domino, la perte de confiance de ses clients s’est rapidement propagée provoquant une vague de retraits de dépôts impressionnante par sa rapidité et qui a pris de cours les autorités financières.
Prenant à son compte une perte de 20 milliards de dollars, la FDIC (Federal Deposit Insurance Corporation) a organisé la reprise des dépôts et des prêts de la SVB par la First Citizen Bank. La Fed a par ailleurs mis en place un mécanisme d’urgence pour approvisionner en liquidités les petites banques régionales américaines fragilisées par les retraits massifs de dépôts. Pour l’instant, la garantie des dépôts fixée à 250 000 dollars n’a pas été relevée, ce qui aurait pourtant freiné les transferts de dépôts des petites banques vers les grandes banques jugées plus sûres. Les banques régionales américaines les plus à risque sont celles dont le montant moyen des dépôts est élevé — et donc non garantis par la FDIC — comme c’était le cas pour a SVB, fragilité structurelle possiblement accentuée par une gestion maladroite de l’actif passif. A moins d’étendre la garantie des dépôts, il est probable que les petites banques continuent de pâtir d’un déficit de confiance avec pour corollaire un durcissement des conditions de crédit pour l’ensemble des ménages et des petites entreprises. Avec une part de marché de 60% dans les prêts immobiliers résidentiels et de 45% pour les prêts à la consommation (selon Goldman Sachs), les banques régionales américaines jouent un rôle essentiel dans le financement de l’économie du pays.
Aujourd’hui, le problème des banques américaines porte sur le risque de liquidité et sur le risque de duration. Les banques ont beaucoup investi dans des obligations souveraines alors que les taux étaient bas et qu’elles recevaient un afflux de liquidités en 2020 et 2021. Les taux ayant fortement monté, ces titres sont en moins-values. La FDIC estime à 620 milliards de dollars les pertes potentielles non réalisées. Ils peuvent cependant être conservés à maturité à condition que la banque n’ait pas besoin de liquidités autrement dit, que ses dépôts ne baissent pas. Or, lorsque les taux de rémunération sur le marché monétaire montent, ils attirent naturellement une partie des dépôts bancaires. On voit là une cause de fragilité qui peut toutefois être contrebalancée par la bonne gestion du risque de taux et par l’injection de liquidités par la banque centrale. Une banque peut donc faire faillite en ne détenant que des titres sans risque (obligations d’état sur le trésor américain) si elle est forcée de les vendre à cause d’une baisse importante de ses dépôts. Les analystes bancaires soulignent que les grandes banques, disposant de beaucoup de dépôts et de plus de liquidités avec a priori une meilleure gestion du risque de duration, sont moins exposées que les petites banques régionales.
Le Crédit Suisse absorbé par UBS
En Europe, c’est une banque systémique, le Crédit Suisse, qui a succombé en quelques jours et ce malgré le soutien initial de la Banque Nationale Suisse. Le Crédit Suisse a dû faire face à une accélération de la fuite de ses clients : les dépôts ont littéralement fondu, passant de 400 milliards de francs suisses en août 2022 à moins de 250 milliards début 2023 ! La chute rapide du Crédit Suisse a d’autant plus surpris que la banque semblait bien capitalisée et qu’elle respectait les ratios prudentiels règlementaires. Cependant, il se trouve que le Crédit Suisse avait un modèle économique fragile, peu rentable, et était depuis des années aux prises avec des scandales de blanchiment, de corruption, de surveillance abusive d’employés. L’effondrement du Crédit suisse est la conséquence directe d’une faillite de la direction qui en 15 ans n’a pas su mettre en place des procédures internes suffisamment rigoureuses et redéfinir le modèle économique de la banque helvétique. La Banque Nationale Suisse a finalement « convaincu » UBS d’acquérir le Crédit Suisse, jadis valorisé à 100 milliards, pour 3 milliards de francs suisses, faisant ainsi d’UBS un acteur d’une dimension colossale.
Les banques centrales ont rapidement réagi pour circonscrire cette crise. Leurs marges de manœuvre pour ne pas provoquer de récession se réduit considérablement. Si les derniers chiffres d’inflation baissent progressivement, ils sont toujours trop élevés. Les banques vont être amenées à resserrer leurs conditions de crédits, ce qui in fine aura un effet similaire à une hausse supplémentaire des taux directeurs des banques centrales. La BCE a néanmoins augmenté ses taux de 50 points de base en accompagnant ce mouvement d’une communication nuancée sur ses mouvement futurs qui dépendront, entre autres, de l’évolution de la crise bancaire. L’inflation s’élevait à 6.9% en glissement annuel en mars dans la zone euro, baissant significativement grâce à sa composante énergie. L’inflation sous-jacente (hors alimentation et énergie) continue elle de progresser.
Plus généralement, les indicateurs avancés de l’économie mondiale s’améliorent un peu. Les hausses des taux d’intérêts ont cependant des effets différés qui vont peser sur la conjoncture des trois prochains trimestres. En Chine, la consommation progresse et le niveau d’activité devrait continuer à s’améliorer en dépit du marché immobilier domestique qui freine la croissance et de la faible contribution des exportations, conséquence de la faible croissance économique de l’Occident. Les autorités chinoises maintiennent leurs objectifs de croissance pour 2023 (+5% de croissance du PIB) et poursuivent leurs mesures de soutien. Au Japon, l’inflation s’élève à 3.3% (février dernier), l’inflation sous-jacente demeurant en retrait à 2.2%, chiffres peu compatibles avec la politique monétaire du pays. La fin de l’ère de Haruhiko Kuroda, gouverneur de la banque du Japon et initiateur de la politique monétaire la plus accommodante du monde, pourrait potentiellement déclencher des vagues de ventes d’actifs détenus pas les investisseurs japonais un peu partout dans le monde.
Marchés
La panique dans le secteur bancaire a été le principal élément explicatif de l’évolution des marchés ces dernières semaines. L’anticipation d’une récession prochaine et de la fin de la politique de la hausse des taux de la Fed a provoqué un effondrement de l’ensemble des taux souverains et en particulier du 2 ans américain, qui est passé de 5% à 4% en quelques jours. Les hypothèses implicites des investisseurs sont maintenant franchement en désaccord avec les prévisions des banques centrales. L’intervention rapide des banques centrales a permis au marché des actions de se reprendre en fin de période, les valeurs du secteur de la technologie bénéficiant d’un engouement renouvelé.
La crise bancaire de 2023 est grave mais elle devrait être plus facile à circonscrire que la crise de 2008. Pour résumer la situation, le prix des actions est modéré voire faible pour partie, l’activité est atone mais s’améliore un peu, amorçant une tendance favorable mais fragile. Le réajustement des politiques monétaires, probablement en phase finale outre-Atlantique crait un environnement instable. Le risque de récession à un horizon de 12 mois est toujours élevé. Ainsi, les marchés émergents et les actions européennes paraissent plus attractives que les actions nord-américaines compte-tenu de leur différentiel de valorisation.
Sources principales : Agence Internationale de l’Energie, Banque de France, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, CGPConseils, Coface, Euler Hermès, Facset, FederalReserve, Financial Times, FMI, INSEE, ISTAT, OCDE, OMC, MIT, ReuteT, ISTAT.