Le Conseil d’Etat recadre le fisc sur l’intéressement des dirigeants

Revue de presse : LesEchos.fr, par Isabelle Couet le 15 mars 2022

C’est l’arme fatale du fisc et le cauchemar du chef d’entreprise : l’acte anormal de gestion. Cette notion permet à l’administration d’infliger des redressements à l’impôt sur les sociétés (IS) au motif qu’une entreprise aurait réduit sa base imposable au mépris de toute rationalité économique. Cet outil aux mains de Bercy est au coeur d’une décision importante rendu par le Conseil d’Etat le 11 mars dernier.

La plus haute juridiction administrative a donné tort au fisc qui avait invoqué cette notion pour redresser la société Alone & Co, holding de l’entrepreneur breton Gilles Bocabeille. Le fisc visait le mécanisme d’intéressement mis en place dans la filiale Soréal Ilou, qui fabrique des sauces pour restaurants (Planet Sushi, Brioche Dorée, Quick…). La société avait consenti au directeur commercial une promesse, valable pour cinq ans, de cession de titres, pouvant aller jusqu’à 6 % du capital de Soréal Ilou, au prix définitif de 1 euro par action. Or, lorsque celui-ci a exercé son droit d’achat, en 2011, il a pu revendre immédiatement ses titres au prix de 3,838 euros (selon l’évaluation faite par un commissaire aux apports) à une autre filiale d’Alone & Co.

Acte anormal de gestion

C’est cette opération qui a fait sourciller les agents de Bercy. Ils ont considéré que le prix fixé lors de la promesse de cession était « anormalement bas » et qu’il s’agissait d’une « libéralité » accordée au cadre dirigeant. L’administration a donc réintégré dans les bénéfices de la société Alone & Co le gain d’acquisition réalisé par le directeur commercial, ce qui s’est traduit par un redressement fiscal. Ni le tribunal administratif de Rennes ni la cour administrative d’appel de Nantes n’y ont trouvé à redire.

Mais le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’y avait pas d’acte anormal de gestion car la société n’a pas agi contre son intérêt. Pour lui, le mécanisme d’intéressement était bien un instrument de motivation du directeur commercial, dont dépend la performance de l’entreprise (ce que les juges de fond n’ont pas admis). Quant au prix de cession à 1 euro, il était certes bien inférieur au prix de revente de 2011, mais il avait été fixé par contrat en 2009 et le holding ne pouvait donc pas faire autrement que de s’y tenir.

La haute juridiction affirme que les arguments du fisc sur le fait que le directeur commercial n’était pas salarié ni soumis à des obligations de durée de présence dans l’entreprise ou de durée minimale de détention des titres ne sont pas valables. Pas plus que le raisonnement consistant à dire que l’accroissement du chiffre d’affaires entre 2009 et 2011 – qui conditionnait l’appréciation des titres – était prévisible. Le Conseil d’Etat reconnaît au contraire le caractère incertain de l’activité.

« Dans cette affaire, on a été confronté à une application maximaliste par Bercy de la notion d’acte anormal de gestion, qui est un vecteur de rendement des contrôles fiscaux », fustige Maud Bondiguel, avocate de Alone & Co. « La société a tenu bon et a poursuivi son action en justice, mais combien de PME, d’entrepreneurs s’avouent vaincus et sont redressés ? »

« Management packages »

« Cette décision change la donne car elle apporte de la sécurité juridique aux entreprises qui doivent créer des outils d’incitation de leurs dirigeants pour permettre le développement de l’activité », poursuit Guillaume Hannotin, qui a défendu la société devant le Conseil d’Etat. « Elle arrive en plus à un moment où il y a des difficultés à recruter. »

Jusqu’ici les mécanismes d’intéressement – aussi connus sous le nom de « management packages » dans l’univers des fonds d’investissement – avaient surtout donné lieu à des contentieux fiscaux liés aux dirigeants et non aux sociétés. Le Conseil d’Etat a notamment créé une petite onde de choc, le 13 juillet 2021 , en requalifiant les plus-values de cession de titres en salaires (soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu). Un amendement visant à corriger cette décision a même été déposé (et rejeté) dans le projet de loi de finances pour 2022. La commission des Finances de l’Assemblée nationale a reconnu la nécessité de mettre en place un groupe de travail.

Revue de presse : LesEchos.fr, par Isabelle Couet le 15 mars 2022

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