Dans un contexte économique marqué par l’incertitude et les transformations rapides, Nicolas Letavernier, Directeur du Développement France chez Workiva, développe une réflexion percutante sur la nécessité d’adopter une gouvernance agile couplée à une gestion des risques moderne. Son analyse met en lumière un paradoxe central : les entreprises doivent simultanément accélérer leur prise de décision tout en maintenant une rigueur absolue dans leur approche des risques.
Selon le baromètre C-Level 2025 de Forvis Mazars cité par l’auteur, l’incertitude économique reste le principal frein à la croissance pour 41% des dirigeants, tandis que leur confiance dans leur capacité à gérer les grandes tendances externes a chuté de 7 points en un an. Face à cette réalité, « naviguer à vue n’est plus envisageable » affirme l’expert.
Les Fondements de la Gouvernance Agile
L’Urgence d’une Approche Adaptative
La gouvernance agile représente bien plus qu’une simple accélération des processus décisionnels. Elle constitue une véritable philosophie d’entreprise qui permet aux organisations de maintenir « un temps d’avance tout en étant capables d’agir sans délai ». Cette approche offre les moyens de répondre aux urgences immédiates tout en conservant la lucidité nécessaire pour anticiper les risques émergents.
L’agilité organisationnelle se distingue de la simple réactivité par sa capacité à transformer l’incertitude en opportunité stratégique. Les entreprises qui adoptent cette approche ne se contentent pas de réagir aux crises, elles développent une capacité d’anticipation qui leur permet de prendre des décisions éclairées même dans des contextes complexes.
L’Équilibre entre Vitesse et Précision
La gouvernance agile repose sur un principe fondamental : l’équilibre entre rapidité d’exécution et fiabilité des décisions. Cette dualité exige une refonte complète des processus traditionnels, souvent trop rigides pour s’adapter aux réalités changeantes du marché.
La Gouvernance des Données : Socle de l’Agilité
L’Impératif de Fiabilité Informationnelle
Letavernier souligne que l’agilité ne peut exister sans une gouvernance des données rigoureuse. Dans un monde où les décisions doivent être prises rapidement, « la fiabilité de l’information devient déterminante ». Cette observation met en lumière un défi majeur : comment concilier vitesse décisionnelle et qualité des données ?
Les directions générales, les fonctions finance, juridique ou RSE prennent quotidiennement des décisions structurantes basées sur des données issues de sources disparates, avec des degrés de fiabilité variables. Cette hétérogénéité crée non seulement de la lenteur, mais aussi un risque d’erreur ou d’incohérence, particulièrement problématique dans un contexte réglementaire précis.
L’Architecture Cohérente des Données
La solution préconisée passe par une architecture de données cohérente qui :
- Relie les systèmes existants
- Automatise la collecte d’informations
- Garantit la traçabilité de bout en bout
Dans le cadre de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), les exigences de transparence et d’auditabilité imposent de savoir non seulement ce que l’on publie, mais aussi comment ces chiffres ont été produits. L’automatisation des reportings, alliée à une source unique d’information, devient alors un facteur de résilience qui réduit le risque d’erreur humaine et permet de répondre à tout moment à une demande d’explication ou à un contrôle.
La Collaboration : Pilier de la Gouvernance Moderne
Briser les Silos Organisationnels
L’expert insiste sur l’importance du facteur humain dans la réussite de la gouvernance agile. Dans les organisations complexes, les silos restent tenaces, pourtant, plus les enjeux sont transversaux – comme c’est le cas pour les risques ou la durabilité – plus il est essentiel que les fonctions concernées travaillent ensemble sur une base commune.
Une étude récente révèle que 92% des investisseurs classent l’exactitude des données comme une exigence fondamentale pour évaluer efficacement les organisations. Cette attente de qualité s’accompagne d’une demande croissante de transparence sur les méthodes et sur la gouvernance des informations.
Les Outils Collaboratifs comme Leviers de Performance
Les outils collaboratifs jouent un rôle décisif en permettant à toutes les parties prenantes – directions RSE, finance, risques, ressources humaines, achats, communication, ainsi que la direction générale – de contribuer à un même document, en temps réel, avec des droits de validation clairement définis.
Cette capacité à structurer le travail collectif, à suivre les modifications et à tracer les sources transforme la collaboration en véritable levier de performance. Les bénéfices sont multiples :
- Réduction des doublons
- Amélioration de la transparence
- Élimination des frictions inutiles
- Optimisation de la valeur ajoutée de chaque contributeur
De la Réactivité à l’Anticipation
Repenser la Gestion des Risques
Letavernier souligne que « l’agilité ne se résume pas à être réactif ». Son véritable enjeu est de basculer vers une posture d’anticipation. Cela suppose une vision claire des priorités, une attention constante portée aux signaux faibles, et la capacité d’ajuster les plans sans attendre la prochaine échéance formelle.
Dans de nombreuses entreprises, le pilotage des risques repose encore largement sur une approche figée, articulée autour d’un plan annuel. Ce modèle peut difficilement répondre à des événements qui, par nature, ne préviennent pas : nouveau cadre réglementaire, cyberattaque, rupture d’approvisionnement, ou évolution inattendue dans les attentes des clients.
L’Approche Agile en Action
Adopter une approche agile implique d’accepter que la planification se fasse par cycles courts, avec :
- Des revues régulières
- Des arbitrages ajustés
- Une capacité de remobilisation rapide des équipes
- La modernisation des outils : dashboards dynamiques, scénarios en temps réel, alertes intégrées
Dans ce contexte, la gestion des risques cesse d’être une obligation de conformité pour devenir un instrument d’aide à la décision et un moyen concret de protéger la capacité d’action de l’entreprise.
L’Implémentation Pratique : Leçons de la CSRD
Un Cas d’École Concret
La mise en œuvre de la CSRD illustre parfaitement ce modèle de gouvernance agile. Les premières entreprises concernées ont dû composer avec une part importante d’incertitude, certaines ayant même fait le choix de s’y conformer volontairement, anticipant ainsi les exigences à venir.
Ce qui différencie ces entreprises proactives n’est pas leur immunité face aux crises, mais leur aptitude à agir sans attendre que la situation les y contraigne. Elles investissent dans des outils qui simplifient les tâches complexes, structurent les responsabilités et facilitent le travail collectif.
Les Caractéristiques des Organisations Agiles
Ces entreprises construisent des processus capables d’évoluer au fil des contraintes et acceptent que l’agilité ne soit pas une méthode figée, mais une façon de penser et d’organiser l’action en continu. Elles développent :
- Des processus adaptatifs
- Une culture de l’amélioration continue
- Des outils évolutifs
- Une capacité d’apprentissage organisationnel
Vers une Nouvelle Philosophie d’Entreprise
La Capacité d’Action comme Avantage Concurrentiel
Face à un environnement en transformation rapide, ce type de gouvernance donne à l’entreprise une marge de manœuvre indispensable. Elle ne promet pas la stabilité, mais permet d’avancer en conscience, en gardant l’essentiel : la capacité à décider et à agir, même quand le terrain se dérobe.
Cette approche transforme fondamentalement la relation de l’entreprise à l’incertitude. Au lieu de la subir, l’organisation apprend à l’intégrer dans sa stratégie et ses processus opérationnels.
L’Agilité comme Mindset Organisationnel
La gouvernance agile représente plus qu’une simple adaptation méthodologique : elle constitue un véritable changement de paradigme. Les entreprises qui l’adoptent développent une culture de l’adaptabilité qui leur permet de transformer les défis en opportunités.
Cette transformation nécessite un engagement à tous les niveaux de l’organisation, depuis la direction générale jusqu’aux équipes opérationnelles. Elle implique également une remise en question constante des processus et une ouverture au changement qui peut parfois bousculer les habitudes établies.
Conclusion : L’Impératif de l’Évolution
L’analyse de Nicolas Letavernier révèle que la gouvernance agile couplée à une gestion moderne des risques n’est plus un luxe stratégique, mais une nécessité absolue pour les entreprises contemporaines. Dans un monde où l’incertitude est devenue la norme, les organisations qui prospèrent sont celles qui ont su développer cette double capacité : agir rapidement tout en maintenant une vision stratégique claire.
Cette approche exige un investissement significatif dans les technologies, les processus et surtout les compétences humaines. Mais elle offre en retour une résilience organisationnelle et une capacité d’adaptation qui constituent les véritables avantages concurrentiels de demain.
La gouvernance agile n’est pas une destination, mais un voyage permanent vers une organisation plus résiliente, plus collaborative et plus performante face aux défis d’un monde en constante évolution.
Cet article s’appuie sur l’analyse de Nicolas Letavernier, Directeur du Développement France chez Workiva, publiée sur IT Social.
