Revue de presse : L’IA chamboule les équilibres du capital-risque, Gilles Fontaine pour Challenges, 12 février 2024
Il y a huit ans, Denis Barrier a cofondé Cathay Innovation avec MingPo Cai, un entrepreneur chinois installé en France. Après avoir fait l’essentiel de sa carrière chez Orange, notamment au sein de l’activité venture de l’opérateur télécoms, il s’est retrouvé en charge de plus de 2 milliards d’euros d’actifs en gestion. Le nouveau fonds de Cathay, doté d’un milliard d’euros, est parmi les plus importants d’Europe. Il est principalement dédié à l’intelligence artificielle. En plus de sa force de frappe financière Denis Barrier et ses équipes possèdent deux atouts fondamentaux : la présence internationale en Europe, en Chine et aux Etats-Unis et son puissant réseau industriel. Il est l’invité de notre nouvel épisode de DeepTechs, notre podcast élaboré en partenariat avec Delight.
Exercice d’équilibriste
La période est totalement inédite pour Denis Barrier qui, avec Cathay Innovation, a financé quelque 120 sociétés, dont une vingtaine de licornes comme Owkin, Ledger ou Descartes Underwritting. « Pour la première fois dans cette industrie, nous vivons à la fois un ralentissement et un boom, explique-t-il. L’intelligence artificielle décolle au moment où le Web 3 décline. » L’investisseur est donc engagé dans un délicat exercice d’équilibriste où il doit à la fois aider les sociétés matures à tenir tout en repérant et en soutenant les futures pépites de l’IA.
Denis Barrier reconnaît les valorisations excessives et les dérives sur le précédent cycle : « Parfois, nous adressions des problèmes qui n’existaient pas… » Mais la nouvelle vague technologique fait oublier, en partie, ces dérapages. « L’impact sera dix fois supérieur à celui du smartphone », selon lui. Les GAFA ont été surpris, mais ils sont en train de se reprendre : « Nous n’en sommes même pas à la fin de la première manche. » Longtemps, Google était en tête de peloton, avec 50 des 100 meilleurs ingénieurs en IA dans ses rangs. Et la France est dans la course. « En termes de création de start-up dans l’IA, la France est 6e mondiale et en termes de brevets, elle est 4e. » Elle possède une carte unique à jouer.
Pas question de rater la prochaine pépite
Mais l’enjeu est aussi de taille pour les spécialistes du capital-risque comme Denis Barrier. Son fonds se spécialisait jusqu’à présent sur l’early growth, le point d’inflexion où l’entrepreneur dégage un chiffre d’affaires et veut passer à la phase scale-up. Mais dans l’IA, tout va plus vite. « Il faut les accompagner dès le départ. » Pratiquement à leur fondation. Pas question de rater la prochaine pépite dans la lignée d’OpenAI. Aux Etats-Unis, les grandes entreprises l’ont bien compris : en 2023, 80 % des investissements en IA dans la Silicon Valley ont été réalisés par des groupes industriels et 20 % seulement par des fonds de capital-risque. Du jamais vu…
Reste à créer le bon climat pour que prospère cet écosystème. En Europe, on risque de se « tirer une balle dans le pied » avec le nouveau règlement AI Act. Le régulateur européen considère qu’il faut agir dès le départ pour protéger les personnes. Aux Etats-Unis, rappelle Denis Barrier, c’est tout le contraire : on laisse le marché se développer puis on met de l’ordre en régulant. Mais la route est encore longue. « Dans cinq ans, peut-être, chacun possédera son IA et dans nos relations avec les autres, ce sera IA contre IA, anticipe l’investisseur. Ce qu’il faudra réguler, c’est la manière dont nous interagirons avec les personnes. » En attendant, il suggère que Bruxelles dépense autant d’énergie à défendre ses industries qu’à protéger ses citoyens. Alors, peut-être, la France pourra-t-elle prétendre à une place sur le podium des nations championnes de l’intelligence artificielle.
Revue de presse : L’IA chamboule les équilibres du capital-risque, Gilles Fontaines pour Challenges, 12 février 2024