Les investisseurs sont confrontés à un environnement particulièrement incertain. La sortie de la crise mondiale du Covid-19 débouche sur une explosion de l’inflation, provoquée notamment par les injections de liquidités des banques centrales et exacerbée aujourd’hui par la guerre russo-ukrainienne et l’envolée du prix des matières premières. Les banquiers centraux revoient à la hausse leurs projections d’inflation tandis que la croissance ralentit. Durcir leur politique monétaire dans un environnement conjoncturel plus difficile est exactement ce qu’ils cherchaient à éviter. Mais l’inflation qui atteint des niveaux inconnus depuis des décennies (5.1% en France en mars 2022 !), les condamne à agir.
La persistance de l’inflation et son intensité montre clairement que les banques centrales n’ont pas ajusté à temps leur politique monétaire. Le retard pris est important et malgré les nombreuses hausses de taux prévues par la Fed en 2022 et 2023, les taux réels à 2 ans demeurent négatifs. En d’autres termes, leur politique monétaire n’est toujours pas réellement restrictive. La Fed a modifié sa communication et cherche à retrouver sa crédibilité face à une envolée des prix qu’elle a sous-estimée depuis plus d’un an. Le consensus anticipe maintenant des taux directeurs américains à 3% en mars 2023, suite à huit hausses de taux annoncés aux cours des huit prochaines réunions du comité de la banque centrale américaine. Aux Etats-Unis, les taux souverains à 10 ans qui avoisinent les 2.5% ne compensent pas l’inflation prévue pour ces prochaines années (2.87% sur les 10 prochaines années en prévision implicite des marchés financiers).
L’ensemble de nos indicateurs économiques sont orientés à la baisse même si, pour l’instant, l’activité tient. Le ralentissement est assez prononcé, conséquence de l’envolée du prix des matières premières, de la désorganisation des chaînes de production qui se poursuit et des effets indirects de la guerre russo-ukrainienne qui devraient peser sur les décisions d’investissement. On perçoit bien qu’un accord de paix permettrait de réduire ces impacts négatifs mais l’on ne sait pas s’il interviendra dans quelques jours ou dans plusieurs mois. Le déconfinement soutient cependant la reprise de l’activité dans les services, facteur important pour la France. L’inflation va par ailleurs fortement peser sur le pouvoir d’achat des ménages dont les revenus ne sont plus indexés sur le niveau général des prix depuis le début des années 80. L’Insee a ainsi estimé dans sa dernière note de conjoncture, qu’au niveau actuel du prix du baril, la croissance du PIB annuel serait pénalisée d’un point. Face à cet effet dépressif, les gouvernements déploient des mesures afin de protéger en partie les ménages et les entreprises de la hausse du prix de l’électricité, des carburants et du gaz. Fin 2019, la croissance était prévue dans la zone euro à 4% pour 2022. Elle devrait être revue à la baisse à 2.5%. La Russie va quant à elle subir une profonde récession.
Les effets dépressifs sur l’activité en Europe dépendent bien sûr de l’ampleur de la hausse des prix des matières premières, mais aussi de sa durée, celle-ci étant étroitement liée au conflit et aux sanctions prises par les Etats-Unis et ses alliés. Le scénario du pire pour nos économies serait de voir la Russie cesser totalement d’exporter son pétrole (environ 5 millions de barils/jour de brut auxquels on pourrait rajouter plus de 2.7 millions de barils/jour de produits pétroliers), ce qui causerait une hausse du baril vers les 190 dollars (contre 110 dollars aujourd’hui et 75 dollars environ fin 2021), provoquant une récession, le rééquilibrage du marché se faisant par une destruction de la demande. Les négociations en cours entre les deux belligérants marquent des avancées, entretenant l’optimisme des investisseurs, avec en particulier le fait que l’Ukraine déclare être prête à s’engager à ne jamais rejoindre l’OTAN et à demeurer un pays neutre, promesse toutefois conditionnée par un référendum.
La Chine est quant à elle confrontée à la hausse des matières premières dont elle est une grande importatrice, au ralentissement de son secteur de la construction, aux perturbations liées aux nouvelles règlementations qui s’appliquent au secteur de la « technologie de l’information et à la poursuite de sa politique de « zéro covid » qui l’amène à confiner de grandes villes (Shenzhen, 12 millions d’habitants). Les vents contraires sont nombreux et les autorités devront accentuer leur politique de soutien pour que l’objectif de croissance de Xi Jin Ping (5.5% pour 2022) soit atteint. Déjà certaines inflexions se font sentir avec un confinement plus court et circonscrit à certaines localités.
Les hausse du prix de l’énergie et des produits agricoles impactera en particulier les pays les plus pauvres et les mouvements de contestation de grande ampleur dans les pays émergents importateurs de ces produits sont à prévoir. A plus long terme, la crise actuelle s’inscrit dans un mouvement de polarisation de grands blocs politiques qui ont tous des objectifs expansionnistes, induisant une priorisation de la défense (notons le virage à 180° du pays jusqu’ici le plus pacifiste d’Europe, à savoir l’Allemagne) et un objectif d’indépendance de plus en plus marqué sur les secteurs stratégiques (énergie, santé, technologie…).
MARCHES
Le rebond récent du marché, qui peut surprendre compte tenu du flot de mauvaises nouvelles auquel nous sommes confrontés, est directement lié aux espoirs de paix, entretenus par les communiqués quotidiens des Russes et des Ukrainiens. Il correspond aussi à une adhésion, encore fragile, des investisseurs à un scénario économique évitant une récession. Du côté des changes, les interventions de la banque du Japon qui souhaite maintenir le niveau de ses taux longs a entraîné une forte baisse du Yen.
Au cours des cycles passés, les phases de hausses des taux et les chocs sur les prix des matières premières ont habituellement provoqué des récessions. Mais l’intensité énergétique a beaucoup diminué dans nos économies ces cinquante dernières années et les récessions n’ont jamais eu lieu avec des taux réels aussi bas. Il y donc de quoi laisser perplexe les investisseurs et alimenter la forte volatilité des marchés à court terme. L’évolution des indicateurs avancés correspond à une économique ralentissant mais évitant une récession. Cela suppose tout d’abord que le pétrole russe continue à alimenter le marché mondial. L’Inde commence ainsi à en acheter à prix réduit, séduite par les offres russes. Ensuite, les taux réels demeurent négatifs, ce qui signifie que le durcissement des politiques monétaires est très relatif et qu’elles ne pèseront pas trop sur l’activité, au moins dans un premier temps. A court terme, le marché américain est privilégié, les Etats-Unis étant loin de la guerre et auto-suffisant sur le plan énergétique. A moyen terme, la poursuite de la hausse des taux longs, probable s’il n’y a pas de récession, devrait impacter le niveau de valorisation du S&P 500. Le niveau de décote relative du MSCI pays émergents et du Stoxx 600 par rapport à l’indice phare américain est par ailleurs très élevé. De mi-janvier à mi-mars 2022 : -32% ! Hors période de récession, les actions constituent un bon refuge contre l’inflation même si le rendement obtenu est relativement plus faible.
Sources principales : Banque de France, Federal Reserve, FMI, OCDE, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, CGPConseil, Reuter, Facset, Financial Times, Agence Internationale de l’Energie, OMC, INSEE, Euler Hermès, Coface, MIT, ISTAT.