Retour sur les marchés – Octobre 2025

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L’accumulation de stocks par les entreprises américaines, motivée par la volonté d’échapper aux taxes sur les importations, et la forte hausse des investissements dans le secteur de l’intelligence artificielle, ont jusqu’à présent permis à l’économie américaine d’éviter une récession.
S’il paraît raisonnable de penser que les stocks de biens importés finiront par s’épuiser — ce qui en fait un facteur favorable temporaire, il est en revanche bien plus difficile de se prononcer sur l’évolution de l’I.A., dont la dynamique semble désormais jouer un rôle déterminant pour la croissance et pour les marchés financiers.
La trajectoire du marché du travail outre-Atlantique est quant à elle toujours inquiétante.

Ces différents éléments induisent une certaine perplexité chez les professionnels quant à la persistance de la conjoncture actuelle, finalement plutôt bonne. Le contexte économique est particulièrement complexe, même en faisant abstraction de la situation géopolitique tendue, et tranche avec l’optimisme des marchés, au plus haut aux États-Unis, en Europe et en
Chine.

La trajectoire de l’économie mondiale demeure stable

Dans son rapport d’octobre 2025, le FMI révise à la hausse ses prévisions de croissance sur l’année qui se maintiendrait finalement au-dessus des 3% pour 2025 et 2026, tout en décrivant un environnement « sombre » en raison de la montée du protectionnisme et de la fragmentation des zones d’influence. Le FMI évoque également une tendance à la baisse de l’inflation, sauf aux États-Unis, la vulnérabilité des finances publiques et « les pressions exercées sur l’indépendance
d’institutions économiques fondamentales qui pourraient nuire aux décisions économiques » (comprendre, les banques centrales).

En Allemagne, où les investissements prévus pour 2026 et 2027 devraient soutenir la croissance européenne, l’indice IFO mesurant la confiance des entreprises s’est amélioré, atteignant son plus haut niveau depuis 2022 et renforçant l’espoir
que la plus grande économie d’Europe soit enfin en train de sortir de deux années de contraction.

Une nouvelle ère politique s’ouvre au Japon

Au Japon, le cycle économique enregistre un net rebond de l’activité. Le PIB prévu pour 2025, soutenu par l’investissement
privé et la consommation des ménages, devrait progresser de 1,1% selon le FMI, contre une stabilité en 2024 (+0.1%). Ces
chiffres sont bons compte tenu de la baisse de la population de l’archipel nippon qui tend à s’accélérer (-0.44% environ par
an en ce moment). L’inflation progresse à un rythme de 3% environ tandis que la balance des comptes courants demeure
largement excédentaire (+4.6% prévu pour 2025). Le prix des services progresse plus modérément, autour de 1,4%, ce qui
permet à la Banque du Japon de prendre son temps.

La victoire de Sanae Takaichi à la tête du PLD, suivie de sa désignation comme Première ministre après une alliance avec le parti de l’innovation (Ishin), consacre un virage conservateur et interventionniste dans l’économie, inspiré par l’héritage d’Abe sans en être une copie conforme. Sa priorité affichée est
la réponse au choc de pouvoir d’achat : aides ciblées, ristournes fiscales et possible relèvement de l’abattement sur
le revenu afin de répondre au mécontentement des ménages. Parallèlement, elle s’engage à porter les dépenses de défense
à 2 % du PIB d’ici la fin mars 2026, au lieu de 2027. Sur les volets sociétal et migratoire, son positionnement est
nettement conservateur, visant à regagner un électorat tenté par des formations plus à droite.

Le Japon entre donc dans l’ère Takaichi avec une orientation claire vers le soutien du pouvoir d’achat et une Banque du
Japon évoluant lentement vers la normalisation de sa politique monétaire. Les nouvelles dépenses avancées par Sanae Takaichi sont cependant considérées avec circonspection par les investisseurs compte tenu du niveau élevé de l’endettement du pays. La Première ministre devra régulièrement rassurer sur ce point, tandis que plane la possibilité d’un revirement de la politique monétaire de la Banque du Japon pour soutenir sa politique expansionniste. Bien que théoriquement indépendante, la Banque du Japon doit consulter le gouvernement sur les orientations générales de sa politique monétaire, tandis que les ministres peuvent assister aux réunions du Conseil de politique monétaire, mais sans droit de vote. Sous l’ère d’Abe, elle avait pleinement coopéré avec l’ancien Premier ministre. Elle prône aujourd’hui une lente et prudente normalisation de
sa politique monétaire afin de contrôler l’inflation, alors que la dynamique salariale semble suffisante pour poursuivre sa
politique de hausse de taux à moyen terme. Elle a maintenu son taux directeur à 0,5% fin octobre, tandis qu’elle devrait
progressivement le relever à 1% d’ici la fin de l’année prochaine.

Il s’agit de préserver la bonne dynamique de l’économie, de contrôler le renchérissement du service de la dette et enfin d’éviter de provoquer un nouvel épisode de volatilité comme ce fut le cas au cours de l’été 2024 (avec un débouclement brutal du carry trade, c’est-à-dire des opérations d’emprunt en yen pour les convertir dans d’autres devises et les placer à des taux beaucoup plus élevés). C’est la politique monétaire ultra-accommodante de la Banque du Japon qui avait provoqué il y a quelques années l’effondrement du yen, aujourd’hui encore très sous-évalué.

L’intelligence artificielle, moteur de croissance des États-Unis

L’année 2024 a marqué un tournant pour l’économie mondiale avec l’intégration rapide de l’intelligence artificielle au cœur des dynamiques de croissance. Pour la première fois, au cours du premier semestre 2025, la contribution des investissements dans les centres de données et les infrastructures associées à la progression du PIB américain a dépassé celle de la consommation des ménages. L’IA est ainsi devenue une composante macroéconomique majeure, soutenant à la fois l’activité industrielle, la recherche et la valorisation des marchés financiers.

Les progrès des modèles expliquent cette inflexion. Les États-Unis conservent la première place mondiale en matière de
développement de systèmes d’intelligence artificielle, mais la Chine rattrape rapidement son retard. Les performances des
modèles sur les principaux benchmarks internationaux – MMMU, GPQA ou SWE-bench – ont progressé de plusieurs dizaines de points en un an. Ces outils ne se limitent plus au traitement du langage : ils génèrent de la vidéo, écrivent du code, raisonnent sur des problèmes complexes et atteignent parfois des performances comparables, voire supérieures, à celles d’un être humain sur certaines tâches. Certains chercheurs expriment d’ailleurs leur inquiétude sur ce point.

Parallèlement, la baisse spectaculaire des coûts d’exploitation transforme la structure économique du secteur. Le coût
d’inférence (coût de fonctionnement) d’un modèle de type GPT-3.5 a été divisé par environ 280 entre 2022 et 2024, ouvrant la voie à une démocratisation rapide de l’expérimentation. Cette chute des coûts favorise l’entrée d’acteurs plus modestes, renforce la diversité de la recherche et contribue à la diffusion mondiale de l’innovation. L’écart de performance entre modèles propriétaires et modèles dont les paramètres sont publics (Llama 3, Mistral par exemple) se réduit, renforçant une dynamique de coopération scientifique inédite.

Cette révolution cognitive repose néanmoins sur une infrastructure matérielle et énergétique considérable. Les centres de
données dédiés à l’IA, l’achat massif de puces graphiques (GPU) et la construction de réseaux d’alimentation spécialisés
mobilisent des capitaux colossaux. Ces investissements ont créé une dynamique d’interdépendance entre acteurs
technologiques qui s’apparente à un circuit fermé. Nvidia, par exemple, finance OpenAI ou CoreWeave, qui utilisent ses fonds pour acheter des GPU à Nvidia et bâtir de nouveaux centres de calcul. Les revenus générés par ces opérations se traduisent ensuite par une hausse de la valorisation boursière des mêmes entreprises, qui peuvent à nouveau investir dans la chaîne.

Ce mécanisme, qualifié de « boucle inflatante », soutient la croissance apparente du secteur, tout en masquant une partie des risques économiques sous-jacents. Cette boucle de capital présente un double effet. À court terme, elle permet une expansion rapide des capacités de calcul, soutient la recherche et consolide la position dominante des États-Unis. À moyen terme, elle pourrait devenir un facteur d’instabilité si la monétisation réelle des usages de l’IA ne suit pas le rythme des dépenses. La situation rappelle une partie des mécanismes observés lors de la bulle Internet de la fin des années 1990, où la croissance affichée reposait sur des échanges de valeur internes plutôt que sur la création de revenus pérennes.

Selon les projections publiées par Gartner, les dépenses mondiales d’investissement liées à l’intelligence artificielle pourraient atteindre près de 2000 milliards de dollars en 2026, avant un probable ralentissement entre 2027 et 2028. Le marché du matériel, notamment les GPU, devrait croître à un rythme annuel d’environ 30 à 35 %, tandis que les investissements dans les infrastructures et les logiciels progresseraient autour de 20 à 25 %. Ce différentiel pourrait maintenir la tension sur les ressources matérielles et énergétiques, déjà sous pression aux États-Unis et en Asie. Le temps de construction des centres de données, la pénurie de composants avancés et la montée des coûts de l’électricité limitent la capacité du secteur à absorber une demande en hausse de plus de 30 % par an.

À plus long terme, la soutenabilité du modèle dépendra de la rentabilité effective des applications. L’IA promet des gains de
productivité importants, une meilleure allocation du capital et une transformation du travail intellectuel. Mais elle engendre aussi des coûts croissants : consommation énergétique, obsolescence accélérée des infrastructures et concentration du pouvoir économique entre quelques entreprises dominantes. Si la valorisation boursière actuelle repose davantage sur les anticipations que sur des revenus consolidés, le risque d’un ajustement brutal reste réel.

Les années 2026 à 2028 constitueront probablement une phase charnière. Si la productivité et la monétisation des usages
parviennent à compenser les coûts d’infrastructure, l’IA s’imposera comme un socle durable de la croissance mondiale. Dans le cas contraire, elle pourrait entrer dans un cycle de correction marqué par une contraction des investissements et une consolidation rapide du secteur. L’équilibre entre innovation technologique, soutenabilité économique et maîtrise des externalités deviendra alors la condition essentielle de la stabilité du nouvel écosystème de l’intelligence artificielle.

Les marchés

Les actions américaines ont poursuivi leur progression, tirées par l’IA et la publication de bons résultats dans le secteur de la
technologie. L’Europe progresse également, tandis que des prises de bénéfices sont intervenues sur le MSCI China au profit des indices japonais, indiens et indonésiens.

La réaction du marché à la publication des résultats de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp, Messenger…), dont les activités progressent pourtant sensiblement, montre que les investisseurs commencent à s’inquiéter des montants faramineux investis dans l’I.A. Le titre a perdu 11% le 30 octobre, jour de l’annonce de ses résultats trimestriels. La direction de Meta a en effet indiqué qu’ils poursuivraient leur effort d’investissement dans l’IA. Les investissements totaux de la société passeraient de 35 milliards en 2024 à 70 milliards en 2025 puis à 104 milliards en 2026. Ces montants prévus sont supérieurs à son résultat d’exploitation et progressent beaucoup plus vite que ses activités de base. Il s’agit donc d’un pari stratégique de long terme que la société peut se permettre de financer, mais dont la rentabilité future est incertaine.
Meta indique vouloir préparer la nouvelle ère de l’IA avec une montée en puissance vers une « superintelligence ».

Alors que la capitalisation boursière de Nvidia fleurte avec les 5000 milliards de dollars, soit 16% du PIB des États-Unis, il semble légitime de se demander si nous n’assistons pas à une bulle sur les marchés financiers et en particulier sur la technologie. Ce phénomène est caractéristique des périodes d’émergence d’une technologie susceptible de transformer en profondeur la société. Ce fut par exemple le cas au XIXe siècle du chemin de fer. La fièvre spéculative qui a accompagné son essor a nécessité d’énormes investissements privés et crédits bancaires alors que dans le même temps, la multiplication des compagnies ferroviaires, souvent surévaluées, réduisait la rentabilité du secteur. La faillite en 1873 de la banque américaine Jay Cooke & Co, lourdement exposée au secteur ferroviaire, provoquera une panique sur les marchés.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Tout d’abord, l’essentiel des financements se font sans dette tandis que le bilan des grandes sociétés du secteur demeure extrêmement solide. Ceci écarte le risque d’une crise systémique. La progression des marchés et leur niveau de valorisation demeure sensiblement inférieurs à ceux du sommet de la bulle internet fin 1999 – début 2000), même si le S&P 500 a une valorisation de 26 fois les bénéfices publiés pour une médiane de 20 fois depuis 2017 (la médiane historique de long terme est bien inférieure).

Les progrès de l’IA sont étonnants et la diffusion de cette technologie est en cours. En revanche, les infrastructures de
télécommunication bâties dans les années 90 aux États-Unis semblaient beaucoup plus durables que les centres de données de l’IA dont on ignore la vitesse d’obsolescence et la rentabilité future.

Enfin, l’IA pose un vrai problème écologique compte tenu de sa consommation énergétique et des investissements en
infrastructures (centrales de production d’énergie, réseaux de transmission, nouveaux bâtiments…). Dans la situation actuelle, le risque principal semble être celui du surinvestissement pouvant aboutir à une surcapacité avec à la clef un réajustement de la rentabilité estimée, la chute des investissements et un ajustement brutal des cours. Bien entendu, cela ne remet pas en cause l’intérêt de l’IA.

Pour l’heure, les directions des principales sociétés concernées estiment qu’il faut intensifier les investissements afin de répondre à la demande à venir, le secteur se trouvant selon eux en situation de forte sous-capacité.

Mais qu’en sera-t-il dans trois ans ? Amazon, Meta, Alphabet, Microsoft et Oracle prévoient d’investir quelques 440 milliards de dollars en 2026 soit 1,4% du PIB actuel des États-Unis. Des investissements gigantesques dans une technologie étonnante, qui progresse elle-même très vite. Bien entendu les autres continents, en particulier la Chine, vont suivre, mais avec des montants plus modestes. Faute de pouvoir prévoir la vitesse de diffusion et l’intensité de l’utilisation de l’IA dans l’économie, il est difficile de se prononcer. Rien n’interdit cependant de se diversifier et de s’intéresser aux secteurs qui bénéficieront aussi de l’essor de l’IA (logiciels, producteurs d’énergie, équipement électrique…).

Sources principales : Banque de France, Federal Reserve, FMI, OCDE, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, CGPConseils, Reuter, Factset, Financial Times, Agence Internationale de l’Energie, OMC, INSEE, Euler Hermès, Coface, MIT, ISTAT.

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