Les marchés financiers semblent indifférents aux risques géopolitiques. Il est certes difficile de modéliser l’imprévisible, mais la probabilité d’occurrence d’un choc exogène devient plus élevée et devrait normalement conduire à une augmentation de la prime de risque sur le marché, ce qui n’est pas le cas…
Géopolitique : zéro impact sur les marchés financiers ?
Alors que la guerre continue de sévir à Gaza, les craintes d’une extension des affrontements se ravivent suite aux attaques de bases américaines au Proche-Orient.
Le transport maritime se détourne du canal de Suez, renchérissant le coût du fret, alors que la Mer Rouge est un couloir maritime important qui représente 12% du commerce maritime mondial. La possible participation de l’Iran à ces attaques, évoquée par les Américains mais niée par Téhéran, pose la question de possibles représailles de la part des États-Unis. Une extension du conflit à l’Iran modifierait radicalement sa nature en provoquant notamment la fermeture du détroit d’Ormuz. Le cours du pétrole est sensiblement remonté, accompagnant les craintes de perturbations des approvisionnements, le Brent dépassant un moment les 83 dollars le baril.
Europe
Sur le front de la croissance en première estimation, l’économie de la zone euro a stagné au quatrième trimestre 2023 (+0,1 % en rythme annuel), ce qui est conforme aux prévisions du consensus. Selon Eurostat, le PIB de la zone euro a augmenté de 0,5 % en 2023 par rapport à 2022.
La demande intérieure demeure faible. Les dépenses des ménages sont restées stables en France et ont augmenté de 1,1 % en Espagne. L’investissement fixe a également chuté en France (-2,6 %) et en Espagne (-7,8 %), signalant des impacts négatifs de la politique monétaire restrictive. Par ailleurs, le commerce extérieur a contribué positivement en France, en Italie et en Espagne.
Du côté de la production, les données pour la France (1,1%) et l’Espagne (4,6 %) montrent des augmentations en production manufacturière, tandis que la production de services a diminué. La production manufacturière avait été en difficulté les trimestres précédents, en particulier en Allemagne, sans amélioration notable malgré la baisse des prix du gaz induit par un niveau de stockage très élevé. Ces dernières semaines apportent cependant des signes encourageants avec des indicateurs avancés qui pointent timidement vers une amélioration de l’activité.
En dépit d’une faible croissance l’année dernière, le marché de l’emploi a maintenu une évolution positive, ce qui devrait soutenir la consommation des ménages dans les trimestres à venir. Au premier trimestre 2024, l’économie de la zone euro devrait renouer avec la croissance tandis que la Grande-Bretagne semble connaître un démarrage un peu plus vigoureux de son économie.
États-Unis
Aux États-Unis, les données d’activité sont une fois de plus, meilleures que prévu. D’après l’enquête de l’Université du Michigan sur le sentiment des ménages, celle-ci connaît son plus fort rebond depuis 2005. D’autres baromètres du moral des consommateurs sont également au beau fixe. Le PIB avancé du quatrième trimestre 2023 est ressorti à +3,3 % (en rythme annualisé) contre les +2 % prévus, le dynamisme de la consommation des ménages ayant surmonté la politique monétaire restrictive de la Fed, grâce à une amélioration des salaires réels.
La thèse d’un atterrissage en douceur de l’économie demeure ainsi le scénario consensuel du marché et nous nous orientons, timidement pour la zone euro, vers une reprise de la croissance en seconde partie d’année, avec l’espoir que cette nouvelle tendance ne se trouve pas gâchée par un rebond du niveau général des prix.
Alors que l’inflation semble devoir poursuivre son recul en 2024, la question porte non pas sur l’éventualité d’une baisse des taux directeurs qui sont nettement en territoire restrictif, mais sur le moment que choisiront les banquiers centraux pour initier une inflexion de leur politique monétaire.
Pour l’instant, la BCE semble privilégier le mois de juin. La Fed devrait poursuivre un calendrier similaire. L’évolution des hausses de salaires sera une variable déterminante, les banques centrales souhaitant éviter un risque d’inflation de second tour. A noter que les matières premières ont cessé de baisser et de contribuer ainsi au recul de l’inflation. En Espagne, où la croissance est nettement meilleure que chez ses voisins, l’inflation a rebondi de 3,3% en décembre dernier à 3.5% en janvier 2024, pour des raisons qui semblent cependant ponctuelles (hausse des taxes et du prix de l’électricité). La bonne tenue de la croissance encourage les banquiers centraux à prendre leur temps pour passer d’une politique monétaire restrictive à une politique monétaire neutre.
Chine
En Chine, les autorités poursuivent l’annonce de mesures accueillies avec scepticisme par les investisseurs. La Banque Populaire de Chine (BPOC) a réduit le ratio de réserve obligatoire des banques de 50 points de base, ce qui devrait libérer près de 140 milliards de dollars de liquidités dans le secteur bancaire. Des mesures visant à canaliser les flux acheteurs pour soutenir la bourse chinoise sont également mises en place. Pour l’ensemble de l’économie, il s’agit de redonner confiance à des consommateurs qui, en dépit d’une hausse de leur revenu disponible, choisissent d’épargner plutôt que de consommer.
L’excès d’épargne par rapport à la tendance précédant la crise sanitaire serait de l’ordre de 3.2% du PIB chinois. Les comptes à terme ont sensiblement progressé, ce qui démontre que la classe moyenne chinoise vivant dans les grandes métropoles conserve une attitude très prudente. La croissance du PIB chinois devrait être de l’ordre de 4.5% en 2024, tandis que la crise immobilière paraît sans fin. A plus long terme et en prenant en compte des gains de productivité toujours élevés ainsi qu’une faible décroissance de la population, le rythme de croissance devrait s’établir sur une tendance comprise entre 3.7% à 4.1% ces sept prochaines années.
Les marchés
Alors que le marché obligataire demeure quelque peu hésitant compte-tenu d’une anticipation très optimiste en début d’année sur l’inflexion de la politique monétaire de la Fed dès mars prochain et qu’il faut repousser de quelques mois, le thème boursier dominant demeure la technologie et, en particulier, l’intelligence artificielle. Les bénéfices du secteur de la technologie américaine sont bien orientés mais associés à des niveaux de valorisation à nouveau élevés et qui ne supporteront pas la moindre déception lors des prochaines publications de bénéfices. Géographiquement, la désaffection des investisseurs pour le marché chinois profite au Japon et à la Corée du sud.
L’optimisme actuel des marchés, sera bientôt confronté à une question cruciale : l’embellie économique actuelle est-elle durable ? La probabilité d’une récession a sensiblement diminué, mais elle n’est pas nulle. Certes, l’assouplissement récent des conditions monétaires et la progression du pouvoir d’achat des ménages, permet aux investisseurs de rester confiants sur l’évolution de la croissance au cours du premier semestre, hors choc exogène. Toutefois, la poursuite de la désinflation pourrait se heurter d’une part à un retour des problèmes d’approvisionnement avec une montée notable des risques en Mer Rouge et, d’autre part, à de nouvelles hausses de salaires venant limiter la baisse des prix.
Par ailleurs et alors que la croissance devrait être meilleure que prévue, il est possible que les marchés de taux soient devenus un peu trop optimistes sur le rythme de la baisse des prix. Le début de l’assouplissement monétaire initialement prévu pour mars est progressivement décalé au mois de juin et s’effectuera peut-être à un rythme plus lent.
La domination des 7 Magnifiques (Microsoft, Alphabet, Amazon, Apple, etc.) est toujours impressionnante. Alors que la trajectoire exponentielle de la dette publique américaine n’est pas au centre des débats, en dépit des risques de déstabilisation qui l’accompagne.
Le niveau de valorisation du MSCI China est attrayant à 8.2 fois les bénéfices attendus pour les douze prochains mois, avec un écart historiquement élevé par rapport aux indices des pays développés. La crise immobilière perdure et va continuer de peser sur le sentiment des investisseurs, les mouvements de baissent récents laissent entrevoir un niveau d’achat avec un couple rendement/risque attrayant mais un niveau de volatilité fort à court terme. la faiblesse de la Chine vient également peser sur l’Allemagne qui subit par ailleurs une crise immobilière et une transition énergétique coûteuse.
Dans une perspective plus générale, l’inflexion des politiques monétaires de la Fed et la baisse attendue du dollar devraient courant 2024 créer un environnement plus propice aux pays émergents.
Sources principales : Agence Internationale de l’Energie, Banque de France, BCE, BEA, BIS, Bloomberg, BOJ, BOC, Coface, Euler Hermès, Facset, Federal Reserve, Financial Times, FMI, INSEE, ISTAT, MIT, OCDE, OMC, Reuter.