L’évolution de l’inflation aux Etats-Unis, qui nous ramène au début des années 80, est devenue le souci majeur des investisseurs. Causée par la politique monétaire des grandes banques centrales (l’offre de monnaie, M2, a augmenté de 6474 milliards de dollars entre décembre 2019 et février 2022, soit 30% du PIB des Etats-Unis), les contraintes sanitaires exercées sur l’appareil productif et, plus récemment, par la guerre en Ukraine, la hausse des prix pèse sur le pouvoir d’achat des ménages et fait réagir les autorités monétaires. Nous sommes toujours dans la phase la plus inquiétante, celle au cours de laquelle l’inflation ne cesse de s’accélérer. Il est cependant possible d’espérer se rapprocher du pic d’inflation, ne serait-ce que parce que les effets de base vont commencer à jouer significativement ces prochains mois tandis que le ralentissement de l’activité, en particulier en Chine, devrait peser sur la demande de matières premières, composantes les plus volatiles de l’indice des prix.
Outre la guerre en Ukraine, la situation sanitaire apporte également son lot de perturbations. Ainsi, en Chine, le nombre de personnes contaminées par la Covid-19 progresse sensiblement depuis deux mois et les autorités imposent de nouveau des règles de confinement très dures dans les foyers de contagion (Shanghai ces dernières semaines). Le nombre de cas est toujours faible par rapport à ce qui a été enregistré en Europe, mais le gouvernement chinois maintient sa politique de « zéro-covid » qui semble pourtant moins efficace face à des variants très contagieux. Il s’ensuit une forte perte d’activité pour l’industrie chinoise mais aussi de nouvelles perturbations dans les chaînes logistiques, ce qui alimentera l’inflation mondiale par une restriction de l’offre et une augmentation des coûts de production. Afin de réduire les arrêts de production induites, les autorités chinoises ont avancé un début de solution : « les usines bulles ». Il s’agit de confiner les ouvriers et employés sur leur lieu de travail en les testant régulièrement. Malheureusement, les usines ont elles aussi besoin d’être approvisionnées et les usines bulles ne sont pas autonomes. Beaucoup fonctionnent donc au ralenti tandis que les ports souffrent d’engorgement et que les délais d’approvisionnement progressent à nouveau. Le prix du transport d’un container de Shanghai à Los Angeles est aujourd’hui plus de quatre fois supérieur à ce qu’il était en 2019 !
La hausse des coûts de production et les aléas d’approvisionnement militent pour un rapatriement d’une partie des centres de production ou tout au moins pour une plus grande diversification géographique des importations, ce qui alimente les débats sur une nécessaire « déglobalisation », mais qui serait elle-même inflationniste.
Alors que plus personne ne qualifie l’inflation de « transitoire », le ton se durcit chez les banquiers centraux dont la crédibilité est mise en jeu, leur politique monétaire étant inadaptée au régime des prix. Il est ainsi probable que la Fed entérine une hausse de 50 points de base au mois de mai prochain tandis qu’elle s’inquiète de la surchauffe du marché du travail. Les marchés anticipent maintenant un taux directeur de la Fed proches des 3% en mars 2023. Les hausses de salaire, toujours inférieures à l’inflation, sont suffisamment élevées pour laisser envisager une persistance des tensions sur les prix dans un contexte de chômage particulièrement bas et d’un arrêt des grands mouvements de délocalisation. Les opérations de « Quantitative Tightening » (« QT ») doivent débuter en mai et devraient soutenir le niveau des taux longs. Il s’agit pour la Fed de ne plus réinvestir le montant reçu par le remboursement des obligations qu’elle détient et arrivées à échéance. Il y aura donc une réduction des liquidités qui sont toujours abondantes sur le marché.
Les phases de resserrement brutal ont laissé de mauvais souvenirs puisqu’elles précèdent souvent les récessions. Il faut donc espérer que la Fed arrivera à stabiliser l’inflation sans trop peser sur l’activité alors que la situation de plein emploi actuel est un point de départ délicat car nécessitant théoriquement des mesures de grandes ampleurs. La BCE s’apprêterait quant à elle à relever ses taux directeurs dans la seconde partie de l’année, peut-être même dès cet été tout en cessant prochainement ses achats d’actifs. L’objectif annoncé serait de ramener ses taux directeurs à un niveau de 1%-1.25%, niveau jugé « neutre » par l’institution, d’ici à fin 2023. Dans le cas où l’inflation se maintiendrait à un niveau élevé ou poursuivrait sa progression, les banquiers centraux ne manqueraient pas d’envisager une nouvelle vague de hausse des taux directeurs, bien au-delà du point de neutralité, estimé aujourd’hui à 2.4% aux Etats-Unis selon la Fed.
Dans cet environnement plus incertain, les indicateurs d’activité publiés au cours du mois d’avril ont plutôt été meilleurs qu’attendus en Europe avec des PMI provisoires en nette hausse (55.8 contre 54.9 en mars). La Banque de France a ainsi souligné dans sa dernière note de conjoncture le dynamisme de la consommation des ménages en direction des services après, il est vrai, deux années de pandémie.
Marchés
Le fait majeur depuis le début de l’année porte sur la hausse des taux longs et en particulier du 10 ans américain qui est maintenant proche des 3%. L’ampleur et la vitesse du mouvement sont rarissimes pour ce type d’actif. Face à ses difficultés conjoncturelles mais aussi à la baisse du Yen, induite par une politique monétaire japonaise à contre-courant, la Chine a laissé filer sa devise qui enregistre en avril une baisse contre dollar de plus de 4%. La baisse du Yen est encore plus élevée puisqu’il recule de plus de 6% contre dollar depuis fin mars et de 11.25% depuis le début de l’année.
Alors que les multiples de valorisation se dégonflent sensiblement sur tous les marchés actions avec la hausse des taux longs, les analystes continuent de prévoir une hausse des bénéfices, le recul des estimations pour 2022 se concentrant sur quelques secteurs, les banques notamment.
L’inquiétude des investisseurs qui se traduit par une volatilité particulièrement élevée est légitime. Les marges des entreprises devraient être menacées par la hausse des coûts, l’économie ralentit tandis que la hausse conjuguée des taux directeurs de la Fed et des matières premières augmente les risques de récession à moyen terme (à envisager pour fin 2023 ou 2024 ?). Enfin, la hausse spectaculaire des taux induit une compression des multiples de valorisations des actions auxquels sont particulièrement sensibles les valeurs de croissance dont les PE (ratio cours sur bénéfices) sont élevés, ce qui explique la contre-performance du Nasdaq depuis le début de l’année.
A contrario, les actions sont revenues à des niveaux raisonnables, voir attrayants, surtout en Europe et en Chine. Pour l’instant l’activité reste assez bonne et la Chine devrait multiplier les mesures de relance d’ici la fin de l’année. Enfin, hors période de récession, les actions protègent de l’inflation même si leur performance est nettement plus faible au cours des périodes de hausse de prix. A court terme, il semble que le risque majeur est un retrait de la Russie du marché du pétrole puisqu’il n’y aurait pas de solution immédiate pour remplacer les cinq millions de barils russes, ce qui provoquerait une envolée du prix du baril et une récession prononcée. Pour l’instant, comme l’indiquent les cours du brut, le pétrole russe trouve un chemin vers le marché. La phase d’anxiété des investisseurs devrait se poursuivre, entrecoupée de rebonds violents sur les marchés. En effet, tous les porteurs de positions « shorts » (vendeurs à découvert) se rachètent lorsque les nouvelles sont bonnes, amplifiant les mouvements de hausse. A l’inverse, les inquiétudes de nature politique ont des effets difficiles à quantifier ce qui est de nature à provoquer des mouvements de panique à la baisse… Plus fondamentalement, le retour de l’inflation marque la fin de la toute-puissance des banques centrales. Il ne faudra donc pas trop attendre de soutien de leur part en cas de choc exogène. Leur priorité n’est plus la croissance de l’économie mais le contrôle de l’inflation qu’elles ont elles-mêmes généreusement alimenté.
Sources principales : Banque de France, Federal Reserve, FMI, OCDE, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, Reuter, Facset, Financial Times, CGPConseils, Agence Internationale de l’Energie, OMC, INSEE, Euler Hermès, Coface, MIT, ISTAT.