La résilience de l’économie continue de surprendre
La résilience de l’économie mondiale continue de surprendre, mais elle ne doit pas masquer les particularités du cycle économique en cours. Notamment, aux États-Unis, la conjugaison d’une accélération de l’investissement et d’un affaiblissement du marché du travail produit un environnement relativement instable.
Les derniers indicateurs avancés pointent globalement vers une amélioration de la conjoncture, donnant un peu de temps aux banques centrales pour ajuster leur politique monétaire. L’inflation semble toutefois orientée à la baisse, aidée par le recul du prix de l’énergie et par l’agressivité des entreprises chinoises à la recherche de débouchés supplémentaires.
Il est difficile de prévoir dans quelle mesure l’énorme vague d’investissements productifs aux États-Unis va stimuler leur productivité et leur avance technologique pour la prochaine décennie ?
L’administration américaine reprend une activité normale
La fin du shutdown marque un tournant pour l’économie américaine après quarante-trois jours d’interruption des services fédéraux. La signature du projet de loi budgétaire par le président Donald Trump a permis de relancer progressivement l’activité des administrations, même si plusieurs agences préviennent qu’il faudra encore une à deux semaines pour résorber l’arriéré opérationnel notamment dans le transport aérien où les restrictions ne pourront être levées immédiatement.
Cette paralysie a eu des conséquences directes :
- suspension de l’aide alimentaire pour 42 millions d’Américains,
- annulations de vols,
- retards dans les programmes publics,
- arrêt quasi complet de la publication des indicateurs économiques majeurs.
Ainsi le Congressional Budget Office estime qu’une fermeture de six semaines amputera de 1,5 point la croissance du quatrième trimestre, avec un rattrapage seulement partiel début 2026, lorsque les fonctionnaires recevront leurs arriérés de salaire.
À court terme, la visibilité macroéconomique demeure fortement dégradée : les rapports d’octobre sur l’emploi et l’inflation ne seront probablement jamais publiés, et ceux de novembre arriveront en retard.
L’inquiétude persiste sur l’évolution du marché de l’emploi américain
Dans ce contexte, la publication du rapport sur l’emploi de septembre revêt une importance particulière. Celui-ci fait état de 119 000 créations d’emplois non agricoles, mieux qu’attendu, mais accompagnées de révisions négatives totalisant 33 000 sur les deux mois précédents, signe d’un ralentissement progressif du marché du travail. Le taux de chômage remonte à 4,4 %, son plus haut niveau depuis 2021, sous l’effet d’un afflux massif de nouveaux entrants, notamment des jeunes et des femmes, souvent poussés à chercher un emploi en raison de la baisse du pouvoir d’achat ou de l’incertitude sur les programmes sociaux, interrompus durant le shutdown. Les créations d’emplois demeurent concentrées dans les secteurs liés à la consommation des ménages aisés, tels que l’hôtellerie et la restauration, alors que les secteurs industriels, l’intérim ou la logistique montrent des signes persistants d’essoufflement.
Parallèlement, l’activité économique donne des signaux contrastés. Les données partiellement rattrapées montrent que la consommation demeurait dynamique jusqu’à la fin de l’été, mais la confiance des ménages sous 50 000 dollars est en net recul. Sur le plan salarial, les tensions restent maîtrisées : les rémunérations progressent autour de 3,8 % en glissement annuel, sans signe d’accélération. L’inflation reste proche de 3 %, un niveau jugé encore trop élevé par plusieurs responsables de la Fed, d’autant plus que les hausses de droits de douane ont contribué à tendre les prix alimentaires, un sujet particulièrement sensible pour les ménages. Les nouveaux accords commerciaux pourraient atténuer cette pression dans les prochains mois.
Le commerce extérieur reflète les effets des vagues de droits de douane : les importations ont reculé en août après un pic anticipant les hausses tarifaires. Face au mécontentement croissant sur les prix alimentaires, l’administration Trump a annoncé une série d’accords commerciaux avec avec l’Argentine, le Guatemala, le Salvador et l’Équateur, visant à réduire les droits de douane sur le bœuf, le café, les bananes et d’autres produits de base.
D’autres exemptions sectorielles sont à l’étude, avec l’objectif affiché d’alléger la pression sur les prix à la consommation, même si ces ajustements reviennent en partie sur des hausses tarifaires décidées plus tôt dans l’année.
La Fed va-t-elle baisser ses taux directeurs en décembre 2025 ?
La Fed aborde sa réunion de décembre dans un contexte exceptionnellement incertain. Certains responsables, comme Neel Kashkari ou Susan Collins, appellent à la prudence et jugent qu’une pause est justifiée en l’absence de données
récentes.
D’autres à l’inverse, notamment Stephen Miran ou Christopher Waller, estiment qu’il reste de la marge pour un nouvel assouplissement, compte tenu de la dégradation progressive du marché de l’emploi. Dans l’ensemble, même si l’économie devrait encore ralentir en fin d’année, la Fed pourrait privilégier l’attentisme en décembre, faute de données fiables.
La trajectoire des taux restera ensuite conditionnée à la normalisation progressive des statistiques, à l’évolution de l’inflation alimentaire après les ajustements tarifaires, et à la capacité du marché du travail à absorber le ralentissement en cours sans basculer dans une dynamique plus restrictive.
Appareil productif américain : une vague d’investissements exceptionnelle
L’économie américaine traverse une phase d’investissements d’une amplitude rarement observée, stimulée par les engagements massifs dans les infrastructures, l’industrie et les technologies liées à l’intelligence artificielle. Si les sommes évoquées par la Maison-Blanche — plus de 20 000 milliards de dollars —semblent exagérées, les estimations indépendantes ramènent les véritables projets d’investissement à environ 7 000 milliards, un volume qui demeure exceptionnel.
La dynamique est largement portée par le secteur technologique, avec près de 2 900 milliards destinés aux infrastructures d’I.A., notamment les centres de données, les puces avancées et les équipements énergétiques nécessaires à la croissance de l’économie numérique. Cette impulsion est renforcée par la volonté politique de rapatrier des chaînes de valeur stratégiques et par les besoins énergétiques croissants de l’I.A. générative.
L’industrie manufacturière connaît également un renouveau marqué depuis 2023, avec de nouvelles capacités dans les semiconducteurs, l’automobile ou la transition énergétique. Selon Bloomberg Economics, même une part limitée des projets suffirait à inverser l’érosion du capital productif et à générer jusqu’à 1 500 milliards de dollars d’investissements annuels supplémentaires. Les capitaux privés jouent un rôle déterminant, avec 3 500 milliards de projets lancés par les entreprises, dont plus de 600 milliards pour Apple et Meta.
La baisse du prix de l’énergie vient soutenir la croissance des pays importateurs de pétrole
Le marché pétrolier mondial traverse une phase paradoxale. Malgré des tensions géopolitiques persistantes au Moyen-Orient, en Europe et en mer de Chine, les prix du brut sont contenus. Cette relative stabilité s’explique avant tout par un
excédent d’offre désormais structurel. La production mondiale progresse plus vite que la demande principalement en raison de l’essor des producteurs hors OPEP+. Les États-Unis continuent d’apporter des volumes supplémentaires malgré un ralentissement du pétrole de schiste, tandis que le Brésil et le Guyana tirent parti d’un vaste portefeuille de projets offshore déjà engagés.
Ces seuls pays devraient ajouter plusieurs centaines de milliers de barils par jour en 2026, le Brésil dépassant régulièrement les 400 kb/j de croissance sur une seule année. L’Argentine contribue egalement, avec l’essor rapide de Vaca Muerta, dont la
production a déjà franchi le cap des 500 kb/j et pourrait croître de plus de 100 kb/j par an. Cette combinaison de projets à bas coûts et de productions peu sensibles aux prix alimente une offre mondiale abondante.
Le pic de la demande de carburants pour les particuliers
serait-il atteint ?
La demande mondiale de pétrole continue de progresser, mais à un rythme plus modéré. Après avoir atteint un nouveau record en 2024, la consommation devrait croître d’environ 0,9 Mb/j en 2026 et 1,2 Mb/j en 2027. Cependant, la nature de cette demande évolue profondément. Les carburants routiers pour véhicules particuliers plafonnent désormais sous l’effet de la montée des véhicules électriques et des politiques d’efficacité énergétique. À l’inverse, ce sont la pétrochimie, l’aviation et le transport routier de marchandises qui tirent la croissance. À l’horizon 2026-2027, les produits pétrochimiques – naphtha, éthane, GPL – pourraient représenter plus de la moitié de la croissance totale de la demande mondiale.
Cette progression plus sélective est aussi géographiquement concentrée. L’Asie représente aujourd’hui environ 60 % de la croissance annuelle de la consommation mondiale. La Chine augmente ses besoins en pétrochimie, tandis que l’Inde continue d’élargir sa consommation de carburants routiers. À l’opposé, l’Europe reste sur une trajectoire de déclin structurel, avec des baisses annuelles de l’ordre de 30 à 50 kb/j, sous l’effet conjugué de l’électrification, des normes environnementales et de la stagnation industrielle.
L’excès d’offre ne se manifeste pas seulement dans les chiffres de production. Il s’observe aussi dans les niveaux de stocks. Les inventaires mondiaux ont augmenté d’environ 1,5 Mb/j en 2025, une accumulation massive alimentée notamment par les achats de la Chine dont les réserves totales ont dépassé 1,25 milliard de barils, et pourraient atteindre 1,5 milliard si le rythme actuel se maintient.
L’augmentation des volumes en transit, des stocks flottants et des capacités commerciales remplies contribue à maintenir la pression à la baisse sur les prix du brut. Sans intervention, le marché risque de rester durablement excédentaire, maintenant les prix dans une fourchette basse. Mais un baril qui descendrait durablement sous les 50 dollars provoquerait inévitablement des ajustements du côté de l’offre : baisse des forages de schiste américains, ralentissement des projets à coûts élevés, ou encore réduction involontaire de la production dans certains pays dont les marges se contracteraient.
Les marchés
Le recul des actions en novembre a été déclenché par des prises de profit dans la technologie compte tenu de niveaux de valorisation élevés et de premiers doutes sur la rentabilité future des investissements. La bonne dynamique des profits et l’espoir de voir la Fed baisser ses taux prochainement a cependant donné lieu à un rebond des indices boursiers, le recul sur le mois se limitant à quelques poches spécifiques. Les valeurs de la défense en Europe affichent également un recul, qui accompagne les perspectives d’un règlement du conflit russo-ukrainien et le Bitcoin a baissé de 27% entre le 6 octobre et le 21 novembre 2025.
L’investisseur est confronté à l’incertitude liée au modèle économique de l’I.A., sur lequel repose actuellement la dynamique des profits du marché américain. Mickael Berry souligne que la période d’amortissement comptable des centres de données pour l’I.A. dépasse largement la période de vie réelle des GPU. Cependant, l’usage des modèles d’I.A. croît rapidement (30% par an ces prochaines années ?) sans les effets sur notre productivité ne soient mesurés à ce stade.
Dans le même temps, de nouveaux concurrents apparaissent à la fois sur l’équipement (TPU d’Alphabet, Trainium 2 d’Amazon et bien d’autres) et sur les modèles d’I.A., ce qui devrait probablement conduire à une baisse des marges.
La baisse récente du marché rappelle que les niveaux de valorisations élevés ne sont soutenables que si la dynamique bénéficiaire perdure. C’est pour l’instant le cas, et les bénéfices du Nasdaq sont excellents. Meme les perspectives pour l’Europe semblent s’améliorer. La trajectoire du marché de l’emploi aux États-Unis est toujours un sujet d’inquiétude, les risques d’une récession étant supérieurs à la normale outre-Atlantique.
Sources principales : Banque de France, Federal Reserve, CGPCONSEILS, FMI, OCDE, BIS, BEA, BCE, BOJ, BOC, Bloomberg, Reuter, Facset, Financial Times, Agence Internationale de l’Energie, OMC, INSEE, Euler Hermès, Coface, MIT, ISTAT.