D’après l’article publié par Contrepoints
Les montages frauduleux dits « CumCum » représentent l’un des dossiers fiscaux les plus sensibles en France ces dernières années. En jeu : des milliards d’euros de recettes fiscales, l’attractivité de la place financière de Paris et la crédibilité de l’action publique. Retour sur l’affaire et la récente volte-face du ministre de l’Économie et des Finances, Éric Lombard.
Qu’est-ce que la fraude « CumCum » ?
Le mécanisme frauduleux
Le terme « CumCum » désigne un montage d’arbitrage de dividendes qui consiste à transférer temporairement des titres détenus par des non-résidents vers un résident français (ou un non-résident d’un pays exonéré). Objectif : éviter la retenue à la source normalement due sur les dividendes. Une fois le dividende perçu, les titres reviennent à leur propriétaire initial, exonérés d’impôt.
L’action de l’administration
Pour contrer cette pratique, l’administration fiscale a recours à la procédure d’abus de droit fiscal, permettant de sanctionner ces schémas même s’ils respectent formellement la lettre de la loi. Depuis 2017, près de 4,5 milliards d’euros de redressements ont été notifiés. Plusieurs établissements bancaires ont fait l’objet de perquisitions dans le cadre d’enquêtes pour fraude fiscale aggravée et blanchiment.
Un durcissement législatif en 2025
Le rôle du Sénat
Lors du débat sur le Projet de Loi de Finances (PLF) 2025, le Sénat a proposé un dispositif renforçant la lutte contre la fraude « CumCum ». Le Gouvernement a intégré des ajustements pour garantir la robustesse juridique, suivis par un avis du Conseil d’État.
Une question technique cruciale
Le débat portait sur les contrats à terme : fallait-il soumettre à retenue à la source toutes les transactions lorsque l’État de résidence de la contrepartie est inconnu ?
Un rescrit fiscal, publié le 17 avril 2025, précisait que, pour les opérations sur marchés réglementés, la retenue préventive n’était pas obligatoire si l’établissement payeur ignorait l’identité de la contrepartie.
La position initiale d’Éric Lombard
Le 8 juillet 2025, auditionné à l’Assemblée nationale, Éric Lombard a défendu la ligne de l’administration :
- Généraliser la retenue aurait imposé une retenue à la source moyenne de 20 % sur tous les dividendes de la place de Paris.
- Comme en Allemagne, cela aurait nécessité un système de remboursement pour les acteurs exonérés.
- Une telle mesure aurait, selon lui, nui à l’attractivité de la Bourse de Paris, en incitant les investisseurs à transférer leurs opérations vers Londres ou d’autres places financières.
Le revirement de juillet 2025
Deux semaines plus tard, le 24 juillet, sous la pression du rapporteur général de la commission des finances du Sénat – qui dénonçait une « délinquance en col blanc » – Éric Lombard a annoncé le retrait du rescrit litigieux.
Cette volte-face soulève un dilemme :
- Lutter efficacement contre la fraude fiscale, comme le souhaite le Sénat.
- Préserver l’attractivité financière de Paris, comme le redoute Bercy.
Analyse : un équilibre fragile entre lutte contre la fraude et compétitivité
Les arguments en présence
- Le Sénat a raison de vouloir renforcer les outils anti-fraude et de cibler les montages CumCum.
- Le ministre a raison de craindre une fuite des capitaux si les contraintes deviennent trop lourdes.
La solution évoquée
Une fiscalité plus simple et plus allégée pourrait concilier les deux objectifs : réduire les incitations aux montages frauduleux sans pénaliser l’investissement international.
Conclusion
L’affaire CumCum illustre la difficulté à trouver un équilibre entre équité fiscale et attractivité économique. Si la lutte contre la fraude est indispensable, elle doit être menée sans compromettre la compétitivité de la place de Paris. La décision d’Éric Lombard révèle les tensions entre impératif budgétaire, exigence éthique et stratégie économique.