Marielle Cohen-Branche, médiateur de l’AMF, dresse un constat révélateur : « Les fameuses arnaques que l’on déplore se traduisent essentiellement par des opérations litigieuses purement bancaires qui sont du ressort exclusif du médiateur bancaire. » Cette observation illustre la complexité croissante du paysage financier où investisseurs et régulateurs naviguent entre innovation et protection.
Le rapport 2024 du médiateur de l’Autorité des marchés financiers révèle une évolution significative des contentieux financiers en France. Avec 2 204 demandes de médiation enregistrées l’année dernière, l’AMF fait face à une hausse notable des litiges, particulièrement concentrée sur les SCPI et les cryptoactifs. Cette évolution reflète les mutations du comportement d’épargne et les nouveaux risques auxquels s’exposent les investisseurs particuliers dans un environnement financier en pleine transformation.
L’explosion des demandes de médiation : 2 204 saisines en 2024
Une forte progression des contentieux financiers
L’augmentation substantielle des demandes de médiation témoigne d’une complexification des relations entre investisseurs et intermédiaires financiers. Cette croissance s’inscrit dans un contexte de démocratisation de l’investissement, accélérée par la digitalisation des services financiers et l’émergence de nouveaux produits d’épargne.
Le problème persistant des saisines hors compétence
Malgré les efforts de communication, près de la moitié des demandes restent hors du champ de compétence du médiateur AMF. Cette situation révèle une méconnaissance persistante des circuits de recours par les épargnants, générant des délais supplémentaires et des frustrations.
Marielle Cohen-Branche précise que « les deux tiers des irrecevabilités » concernent des opérations bancaires relevant du médiateur bancaire. Cette confusion institutionnelle souligne la nécessité d’une meilleure information des consommateurs sur les instances compétentes.
Un taux de résolution encourageant
Sur les 837 médiations effectives et 710 propositions de solution rendues, le taux de suivi atteint 94%, avec environ la moitié des réponses favorables aux particuliers. Cette performance démontre l’efficacité du dispositif de médiation lorsqu’il s’applique aux situations relevant de sa compétence.
La crise des SCPI : troisième place des contentieux
L’impact de la crise immobilière sur la pierre papier
Les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI) connaissent une forte hausse des litiges depuis deux années, se positionnant désormais au troisième rang des contentieux traités par le médiateur. Cette évolution directement liée à la crise immobilière révèle les fragilités d’un secteur longtemps perçu comme refuge.
Les principales sources de litiges SCPI
Les contentieux portent principalement sur :
- La baisse des parts : déception des investisseurs face à la dégradation des valorisations
- Les difficultés de revente : problèmes de liquidité sur le marché secondaire
- Les retards de projets : décalages dans les programmes d’investissement immobilier
- La transparence des informations : insuffisance de communication sur les risques
Cette situation illustre le décalage entre la perception de sécurité de la pierre papier et la réalité des risques de marché.
L’extension aux plateformes de financement participatif
Le financement participatif immobilier subit également les conséquences de la crise sectorielle. De nombreux projets ont été « fortement retardés », générant des contentieux avec les investisseurs particuliers qui découvrent la réalité des risques assumés.
Le régulateur « appelle les investisseurs à la plus grande vigilance sur les risques encourus en cas de défaut du porteur de projet ou de cessation d’activité de la plateforme », révélant l’ampleur des difficultés sectorielles.
Les cryptoactifs : hausse des demandes, faible recevabilité
Une progression continue mais trompeuse
Les dossiers de médiation sur les cryptoactifs progressent constamment : 107 en 2024 contre 88 en 2023 et 54 en 2022. Cette croissance de 21% en un an témoigne de l’expansion du marché des actifs numériques et de ses dérives.
La prédominance des escroqueries
Paradoxalement, seulement 39 cas sur 107 ont été jugés recevables, les 38 cas d’escroqueries n’entrant pas dans le champ d’action du médiateur AMF. Cette disproportion révèle que la majorité des litiges crypto relèvent de la délinquance financière plutôt que de conflits commerciaux légitimes.
Cette situation illustre l’immaturité réglementaire du secteur des cryptoactifs et les difficultés des autorités à encadrer efficacement ces nouveaux marchés.
Le PEA et l’épargne salariale : valeurs sûres du contentieux
Le PEA reste le premier sujet de désaccord
Le Plan d’Épargne en Actions demeure le premier motif de saisine, principalement concernant les délais de transfert. Cette prédominance s’explique par la popularité croissante du dispositif et la complexification des transferts dans un marché multi-acteurs.
L’épargne salariale en deuxième position
L’épargne salariale occupe la deuxième place des contentieux, principalement sur les cas de déblocages anticipés. Cette situation révèle les difficultés d’application pratique de réglementations complexes, malgré les récentes simplifications.
Ces litiges portent notamment sur :
- L’interprétation des cas de déblocage autorisés par la loi
- Les délais de traitement des demandes de déblocage
- La documentation requise pour justifier les situations particulières
- Les frais de gestion appliqués lors des opérations
Les enseignements pour les investisseurs et les professionnels
L’importance de l’information préalable
La diversité des contentieux souligne l’importance cruciale de l’information préalable des investisseurs. Les litiges révèlent souvent une inadéquation entre les attentes des épargnants et la réalité des produits financiers souscrits.
La nécessité d’une éducation financière renforcée
L’éducation financière apparaît comme un enjeu majeur pour réduire les contentieux. La méconnaissance des mécanismes financiers et des circuits de recours génère des situations conflictuelles évitables.
L’adaptation réglementaire aux innovations financières
L’émergence de nouveaux produits d’épargne (cryptoactifs, financement participatif) nécessite une adaptation continue du cadre réglementaire pour protéger efficacement les investisseurs sans freiner l’innovation.
Les perspectives d’évolution pour 2025
Le renforcement de la prévention
L’AMF intensifie ses actions de prévention et d’information pour réduire les saisines hors compétence et améliorer la compréhension des produits financiers par les particuliers.
L’harmonisation des dispositifs de médiation
La confusion entre médiateur AMF et médiateur bancaire appelle à une meilleure coordination des dispositifs de médiation financière pour simplifier les recours des consommateurs.
L’encadrement renforcé des nouvelles technologies financières
L’explosion des escroqueries crypto et les difficultés du financement participatif nécessitent un encadrement renforcé des innovations financières, équilibrant protection des investisseurs et développement de l’écosystème.
Recommandations stratégiques
Pour les épargnants
- Se former avant d’investir : comprendre les mécanismes et risques des produits souscrits
- Identifier le bon interlocuteur : connaître les circuits de recours appropriés
- Diversifier les placements : ne pas concentrer l’épargne sur les secteurs en tension
- Lire attentivement la documentation contractuelle et réglementaire
Pour les professionnels
- Renforcer l’information client : transparence sur les risques et les procédures
- Améliorer les processus : réduire les délais et simplifier les démarches
- Former les équipes : maîtrise des réglementations et gestion des réclamations
- Anticiper les évolutions : adaptation aux nouvelles exigences réglementaires
Pour les régulateurs
- Harmoniser les compétences : clarifier les périmètres d’intervention
- Renforcer la prévention : campagnes d’information ciblées sur les nouveaux risques
- Adapter la réglementation : encadrement proportionné des innovations financières
- Coordonner les actions : coopération entre autorités nationales et européennes
Conclusion : vers une médiation financière renforcée
Le rapport 2024 du médiateur AMF révèle les tensions croissantes dans l’écosystème financier français. L’augmentation des contentieux SCPI et crypto, conjuguée à la persistance des litiges sur les produits traditionnels, illustre les défis de la démocratisation financière.
La médiation financière évolue d’un rôle de résolution des conflits vers une fonction de révélateur des dysfonctionnements systémiques. Les enseignements de 2024 appellent à une approche globale combinant éducation financière renforcée, adaptation réglementaire et amélioration des pratiques professionnelles.
Pour les investisseurs, la vigilance et la formation demeurent les meilleures protections face à la complexification du paysage financier. Pour les professionnels, l’excellence opérationnelle et la transparence deviennent des impératifs concurrentiels dans un environnement sous surveillance renforcée.
L’enjeu 2025 consiste à transformer les leçons de la médiation en actions préventives, réduisant les contentieux par une meilleure adéquation entre l’offre financière et les besoins réels des épargnants.
Source : La Finance Pour Tous, rapport 2024 du médiateur AMF, données Marielle Cohen-Branche.