Crédit immobilier : le marché est-il vraiment en train de se relancer ?

Revue de presse : Crédit immobilier : le marché est-il vraiment en train de se relancer ?, 22 avril 2024, Henry Buzy-Cazaux

TRIBUNE – Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’Institut du Management des Services Immobiliers, réagit à la forte relance de la production de crédits immobiliers en ce début d’année, après plusieurs mois de crise. Mais appelle à la prudence sur la reprise du marché de la transaction.

La communication s’emballe sur le redémarrage du marché immobilier. À cet égard, le premier qui a dit que les achats repartaient avait gagné. On apprend cette logique dans les cours de négociation en école de commerce : c’est toujours celui qui fixe le prix de départ qui l’emporte, puisque toutes les propositions qui vont suivre seront fixées à partir du premier chiffre. Il en va de même pour les discours sur la conjoncture : comment voulez-vous qu’un grand patron de réseau d’agences et de négociateurs mandataires s’inscrive en retrait de la main par rapport à l’un de ses pairs qui soutient que ses membres ressentent une embellie ? Il passerait non pas seulement pour un oiseau de mauvais augure, mais surtout comme le dirigeant d’une enseigne moins efficace. On imagine les conséquences sur son image et l’humeur de ses actionnaires… En clair, et les directeurs de communication ou les attachés de presse ne s’y trompent pas, il importe d’ouvrir le bal.

Le bal a bien été ouvert par quelques voix fortes et au demeurant, elles disent vrai. La seule question n’est pas de savoir s’il y a des signaux, car ils existent, mais s’ils annoncent une authentique relance. Avec une deuxième question à la clé : à qui profite le début de reprise ? Et même une troisième : faut-il considérer que le marché est en train de sécréter ses anticorps et de se réguler lui-même, rendant inutile toute action publique.

Une embellie sur la distribution des crédits immobiliers

Un chiffre confirme l’embellie : entre décembre et mars, une hausse de 51,8% de la production de crédits immobilier. À relativiser de bien des manières. D’abord, cette performance laisse le premier trimestre 2024 en retrait de 20% par rapport au premier de 2023, qui était lui-même mauvais. Ensuite, les montants unitaires de prêt sont en recul, certes pour partie grâce à la baisse des prix, mais surtout parce que les apports personnels exigés sont élevés et plutôt en hausse. En somme, on prête aux riches plus qu’aux autres, et la proportion de primo-accédants reste à l’étiage, comme celle de ménages modestes et celle des investisseurs. On pense à ce célèbre slogan de la SNCF, empruntée à…Aristote : «Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous». Clairement, cette reprise ne bénéficie pas à toutes les catégories de population, et c’est là qu’est l’os.

L’étiologie de la reprise immobilière explique ces limites. Elle doit tout à deux phénomènes conjugués, de nature à resolvabiliser les ménages affaiblis économiquement par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt : la baisse des prix, encore insuffisante et inégale selon les territoires, et la correction des taux eux-mêmes, repassés sous la barre des 4% hors assurances. C’est une réduction de 0,30% en moyenne. Lorsque la hausse forte et rapide du coût des crédits avait fait fondre de 25% le pouvoir d’achat logement des Français, une correction de 5% en moyenne des prix et de 30 points de base des taux ne restaure que peu la situation. La différence est néanmoins suffisante pour que des milliers de candidats au crédit reviennent dans le jeu. Et les autres ?

La refonte amorcée des critères du HCSF

On ne parle plus des critères restrictifs du Haut conseil de stabilité financière, édictés à la fin de 2019 et qui n’ont pas été revus lorsque la hausse des taux a effondré la production de moitié. Si, un homme en parle et agit pour qu’ils soient non seulement prudentiels -pour que les banques ne prêtent pas sans considération des risques pour les emprunteurs- et adaptables aux circonstances. Le député des Landes Lionel Causse, président du Conseil national de l’habitat, a signé une proposition de loi tendant à améliorer le fonctionnement du HCSF, aujourd’hui dangereusement hors sol, pour dire les choses comme elles sont. Présidée par le ministre de l’économie, largement pilotée par le Gouverneur de la Banque de France, cette jeune instance créée en 2013 se veut gardienne du temple. Elle a son utilité fondamentale, avec deux objections de taille : elle présuppose qu’il existe un risque systémique de surendettement des ménages à cause de l’immobilier et d’une distribution inconséquente des crédits, et elle est inapte à la plasticité aux circonstances économiques. Sur le premier sujet, toutes les statistiques démontrent que les prêteurs sont responsables. Entre des taux fixes, qui excluent toute dérive des mensualités, et des crédits personnels et non réels, octroyés sur la base d’analyses fines de la solvabilité évolutive des emprunteurs, où est le risque systémique ? Il n’est que théorique. Enfin, lorsque les mensualités sont majorées par des taux multipliés par quatre, il est clair que le critère rustique de 35% est pénalisant pour une majorité de ménages. Faut-il pour autant qu’ils soient exclus de l’accession à la propriété, de l’investissement locatif ou de l’acquisition d’une résidence secondaire ? Évidemment non.

La proposition de loi de Lionel Causse, après relecture et amélioration par la commission des finances de l’Assemblée nationale, dispose que «(le Haut conseil de stabilité financière) fixe les conditions dans lesquelles les établissements de crédits et les sociétés de financement (…) peuvent déroger aux décisions (qu’il prend) en tenant compte des variations de l’offre et de la demande de crédit.» En clair, les banques devront pouvoir bénéficier de critères adaptés aux circonstances pour n’avoir pas à éconduire l’essentiel des candidats à l’emprunt. Il est également précisé que le HCSF doit «(veiller) à préserver la capacité du système financier à assurer une contribution soutenable à la croissance économique.» C’est la fin de la déconnexion avec le réel que veut cette proposition de loi, et le retour de la confiance accordée aux banques. On les sait capables de regarder le reste à vivre d’une famille ou d’un individu, quels que soient ses revenus, modestes, intermédiaires ou importants.

Par ailleurs, la proposition de loi modifie la gouvernance du HCSF en l’élargissant à un député et un sénateur, en obligeant à la parité entre homme et femme. C’est la fin de l’entre-soi entre économistes et représentants de Bercy.

La seule baisse progressive des taux ne suffira pas

Ce texte aura pour conséquence que le crédit immobilier reste démocratique et populaire, en permettant aux banques de procéder à une analyse du risque intelligente, pilotée selon les circonstances. Il n’est ainsi pas admissible que les jeunes ménages ne puissent plus s’engager dans un parcours de propriétaires qui les préserve de l’avenir, quand l’avenir est si incertain. Il n’est pas davantage admissible que le nombre des investissements locatifs dans l’ancien, à fiscalité constante, ait été divisé par deux quand les critères du HCSF sont venus interdire de prendre en compte les loyers futurs dans les revenus du bailleur. Aucune supplique des hiérarques de l’économie ne doit infléchir les parlementaires au moment de voter me texte du président du CNH. Leur main ne doit pas trembler devant des dirigeants, certes grands commis de l’État, mais loin de la population et de ses tourments. À l’instar des médecins de Molière, leur diagnostic est toujours le même -«le poumon, le poumon vous dis-je»-, ignorant la réalité, et leur thérapie peut mener le malade à mourir guéri.

Le marché du logement a besoin de recouvrer une santé vigoureuse. On aurait tort de croire que la seule baisse progressive des taux suffira, d’autant qu’elle pourrait contrarier celle des prix si l’on n’y prend garde. Il est vital de lever toutes les brides qui l’empêche de retrouver son souffle.

Revue de presse : Crédit immobilier : le marché est-il vraiment en train de se relancer ?, 22 avril 2024, Henry Buzy-Cazaux

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